Journée ordinaire d’une humanitaire: Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula#195
Paula travaille au quotidien dans l’humanitaire mais que fait-elle au juste?
Danger, hippopotames …
On a déménagé une base et le propriétaire du site sur lequel elle avait été installée fait pression sur l’équipe pour conserver un hangar que nous y avions installé. Qu’il aille se faire prendre, n’est-ce pas? sauf que môssieur est un notable, potentiellement nuisible. Alors, je vais saisir ma plus belle plume pour lui expliquer que clairement, ce hangar, nous en avons besoin dans notre nouvelle base et qu’en financer un autre serait ôter la nourriture de la bouche d’un enfant et que vraiment, il ne voudrait pas que les gens s’imaginent qu’il en est responsable.
Dans un mois, le contrat d’un expatrié de l’équipe s’achève. Je dois l’évaluer, ce qui est plutôt un exercice que je fais volontiers dans un tête-à-tête détendu, surtout quand la personne voit l’exercice comme… un exercice. Je sais par expérience qu’il nous faudra une à deux heures d’entretien, mais il est à une journée et demie de route, alors comment communiquer? Par téléphone – j’en frémis d’avance, par skype – la connexion est trop fragile. Bref, cela se fera dans un fastidieux aller-retour de courriels. Aussi ennuyeux pour l’un que pour l’autre.
Un chef de projet tout ému me décrit l’incendie qui a frappé le marché d’un camp de réfugiés, et clairement il espère mon feu vert pour une intervention d’urgence. J’argumente avec soin mon refus pour ne pas passer pour l’inhumaine de service et pour respecter son envie de « faire quelque chose ». Je sais que, sur le terrain, les équipes sont sollicitées en permanence et que parfois, il leur faudrait pouvoir dire oui pour relâcher une peu la pression. Mais intervenir une fois impliquerait intervenir une seconde fois, puis une troisième fois, puis…. etc., une demande exponentielle qui sera source d’une plus grande frustration. Alors je campe sur ma décision.
Ne plus savoir où donner de la tête …
Et les journées s’égrènent dans un flot d’activités disparates telles que:
- Relire une fois encore une proposition de projet x fois commentée et amendée en espérant que ce sera la dernière validation parce qu’à force de regarder les détails, j’en oublie l’ensemble.
- Préparer ma participation à un atelier national sur l’eau et l’assainissement sans savoir précisément quelles contributions sont attendues. L’invitation, comme souvent tardive, est sibylline; les initiés sauront. Très bien, j’improviserai.
- Répondre diplomatiquement à un partenaire financier dont le consultant grimpe au plafond dès que quelque chose dévie du projet initial alors qu’un projet de seize mois sera obligatoirement différent de son prévisionnel.
- Accompagner la prise de fonction d’une nouvelle expatriée débutante dans le milieu, riche d’une expérience à laquelle je crois sinon je ne l’aurai pas choisie, mais toute empêtrée entre phantasme et réalité.
- Analyser, mémoriser, classer une soixantaine de mails quotidiens en me demandant si j’ai choisi ce travail pour me trouver coincée dix heures par jour devant un ordinateur.
Et resonger à mes débuts dans l’humanitaire, dans des camps de réfugiés plantés dans le désert depuis trop longtemps, et où il fallait grimper sur une dune pour capter un réseau, ou alors s’inscrire sur une liste d’attente pour pouvoir se connecter au seul câble internet du camp. Les journées semblaient bien remplies, les feuilles de papier carbone étaient précieuses, les ordinateurs ensablés se montraient capricieux, mais partager le thé avec les réfugiés était quotidien.
Tout cela avait-il alors plus de sens?
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