Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #153: Oran, cul-de-sac ou terre d’asile
Paula a laissé Marco à son rapport de mission et s’est échappée à Oran. Elle découvre des migrants.
Il y aurait trois mille migrants subsahariens à Oran, des Maliens, des Nigériens, des Burkinabés ou des Ivoiriens. Certains travaillent, et d’autres mendient dans les rues, où ils sont nettement plus visibles qu’à Alger. Je les imagine de passage, installés sur les trottoirs d’Oran le temps d’une halte forcée plus ou moins longue. En fait, l’Algérie n’est pas uniquement la dernière étape terrestre vers l’Europe; une bonne partie de ces migrants* s’installent dans le pays car les grandes villes du nord et les grands chantiers du sud consomment une main d’œuvre dure à l’ouvrage et peu regardante sur les conditions offertes.
Comment l’Algérie, pays d’émigration, traite ces immigrants? Difficile à dire. Mais le dernier jour de mon séjour, lors d’une balade, j’ai remarqué que les mendiants subsahariens avaient tout d’un coup disparu. Le vent qui soufflait en forte rafale n’en était pas la cause. Durant la nuit, la police avait effectué des rafles. L’Algérie organise fréquemment des expulsions vers le Niger – environ 2800 Nigériens et quelques 5 000 Ouest-Africains ont été ramenés à la frontière en septembre et octobre 2017. Le Niger, qui a signé un accord migratoire avec l’Algérie, accepte de reprendre ses ressortissants, mais les autorités nigériennes protestaient de devoir aussi traiter les migrants des autres pays d’Afrique de l’Ouest. Elles ont dû être entendues car, lors de la dernière rafle, après le contrôle des nationalités, seuls les Nigériens ont été gardés. Mon amie a expliqué qu’ils seront regroupés dans un centre de rétention près d’Alger pour être ensuite transportés en bus à Tamanrasset, puis en camion jusqu’à la frontière, et ils devront finir à pied le trajet jusqu’à la première localité du Niger.
127 migrants subsahariens expulsés d’Algérie sont arrivés à Gao (Mali), les 6 et 7 mars. Certains ont été dépouillés par des groupes armés. Selon l’ONG Human Rights Watch, ces personnes ont déclaré n’avoir rien mangé depuis trois jours. Des cas de déshydratation aiguë ont nécessité une hospitalisation. Depuis le début de l’année, Alger a accéléré les expulsions. Du 3 au 13 février, plus de 500 personnes ont ainsi été renvoyées à la frontière avec le Niger.
Le Monde. 24/25 mars 2018.
Mon amie se rappelle qu’exactement une semaine avant, le wali (préfet) d’Oran a fait distribuer aux femmes qui mendiaient dans le rues une couverture, un panier alimentaire et une rose à l’occasion de la journée des droits des femmes. Tout à coup un inconnu vous offre des fleurs… Mais si vous êtes noire et subsaharienne, cachez-vous, vous pourriez désormais être expulsée!
Pourtant, comme dans beaucoup des pays qui accueillent des migrants, les secteurs économiques algériens comme ceux du transport, de la téléphonie et du logement profitent assez bien de la manne. Selon la base de données du projet Terminus Algérie, en 2015, les migrants à Oran ont généré 360 millions de dinars (2,5 millions d’euros). Terminus Algérie est un projet de la journaliste Leïla Berrato et du photographe Camille Millerand pour documenter – en images et en données – l’immigration en Algérie.
Pendant ce bref séjour à Oran, j’ai rencontré plusieurs fois Kader, le héros d’un reportage de Camille Millerand : Bled runner sur un Ivoirien qui se prépare à rentrer chez lui en Côte d’Ivoire. Il est très actif auprès des migrants et pourrait peut-être s’installer vraiment à Oran, mais sans doute ne veut-il pas être un « migrant raté », expression que j’ai entendue à la radio, dans la bouche d’un migrant, à propos de ceux qui restent en Algérie.
* On parle en Algérie de plusieurs dizaines de milliers de migrants en transit ou arrivés, sans pouvoir dénombrer ceux qui s’installent en Algérie.
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