Maurice Rajsfus (1928-2020), rescapé de la Shoah et vigie de la violence policière : « On ne m’a pas laissé le temps de rester un enfant ! »
«
Quand il est question de vigilance et de répression, de l’Histoire toujours à dire et du monstre banal qui guette; quand il s’agit de faire de la techno et de déconstruire dans la création les stéréotypes raciaux qui étouffent et confinent; quand se mettre dans les mots des autres est un travail de mise en scène qui suppose le décalage; quand le rouge renvoie à des mythes qui se disent au détour d’un musée pour désormais se partager…
Des mots de minuit : émission N°320 du 15 octobre 2008.
Réalisation : Pierre Desfons
Rédaction en chef : Rémy Roche
Production: Thérèse Lombard et Philippe Lefait
©desmotsdeminuit.fr/France2
Maurice Rajsfus est avec Jeff Mills, Zabou Breitman 🎭 Maxime Rovere et les Kowspi (Marek Chiphowka et Agaotak) 🎼 avec Jeff Mills et Spleen
Maurice Rajsfus était historien et écrivain. Il venait ici de signer « 17, Rue Dieu », un nouvel essai consacré à la persécution des Juifs et à la répression policière, notamment en France.
De 1994 à 2006, il a d’ailleurs publié le bulletin « Que fait la police? »
« A l’approche de ses quatre-vingts ans, un rejeton d’immigrés juifs polonais tente d’analyser la nature profonde de la terre d’exil choisie par ses parents. C’est une vision sans concession d’un pays où les acquis de la Révolution française et des luttes populaires des XIXème et XXème siècles ont été peu à peu renvoyés aux oubliettes de l’histoire.
En ligne de mire les grandes institutions que sont l’Eglise, l’armée et la police – généralement forces de régression sociale. En fond de décor, une population dont de trop nombreux éléments sont plus xénophobes – et parfois racistes – que chaleureux.
Au fil des pages, il rappelle que son père et sa mère ont disparu, dans un silence coupable, lors de la tourmente raciale au temps de l’occupation allemande et du régime de Vichy. Reste l’espérance d’une société différente. Pourtant, le désappointement est également présent, tant d’années après la Libération, car la promesse d’un monde meilleur s’éloigne dans le même temps que les forces dites de progrès s’avèrent, elles aussi, destructrices de l’espérance qu’elles pouvaient porter. Subsiste, heureusement, l’indispensable colère qui permet de ne rien oublier, tout en posant des jalons pour l’avenir. »
©Le Temps des Cerises Éditeurs
Je ne suis pas dans la peau d’un procureur. Ce que je veux seulement exprimer à travers mes livres, c’est ce qui s’est passé pour moi et pour d’autres il y a 66 ans et qui peut se reproduire et qui se reproduit. La volonté de marginaliser, d’exclure, de rejeter est toujours là !
Maurice Rajsfus. Des mots de minuit, 2008.
Quand il s’est agi de dire l’histoire, la persécution nazie ou la disparition des familles, Maurice Rajsfus a su trouver les mots simples du témoin et du rescapé pour toujours dire le monstre banal qui guette. De la répression et des excès policiers, il fut uniment la vigie et le critique intraitables. Il raconte sur Des mots de minuit
« Les objets qui le prolongent… » L’étoile jaune que sa mère a voulu doubler « pour pas que ça s’use. » Renseignant une fiche du Who’s who, il avait indiqué une mention qui n’a pas été retenue: « décoration de la police française obtenue le 8 juillet 1942 ».
Son deuxième « objet » est une photo de sa famille, prise en 1921 dans la ville polonaise de Radom.
CONVERSATION:
Le musicien Jeff Mills est considéré comme l’un des inventeurs de la techno, est invité par le Centre Pompidou à l’occasion de l’exposition : « Le futurisme à Paris ».
« En confrontant œuvres cubistes et œuvres futuristes, cette exposition convie à poser une question de fond : qu’est-ce qui fait la modernité en art ? Son sujet ? ses formes ? les idées qui sous-tendent l’énergie créatrice de l’artiste ?
En revenant sur l’aventure du futurisme, elle propose également de montrer comment le regard des créateurs s’enrichit et nourrit la pensée, l’action, la perception propres à chaque époque. »
© Centre Pompidou
À Détroit, j’ai appris très tôt ce qu’il en était de la lutte des Noirs aux États-Unis. Très tôt, j’ai essayé de progresser en utilisant ces idées. Il s’agissait par exemple d’effacer dans la musique de ce qui s’apparentait à un stéréotype!
Jeff Mills. Des mots de minuit, 2008.
« L’objet qui le prolonge… » Son journal où est noté, au détail près, l’ensemble de ses créations à venir et dont il dit que sans lui, « il serait perdu! »
Zabou Breitman. Desmotsdeminuit, 2008.
La comédienne, metteuse en scène et réalisatrice a adapté au théâtre (« Des gens ») deux adapte au théâtre des scènes de deux films documentaires de Raymond Depardon, « Urgences » (1988), tourné aux urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu à Paris et « Faits divers » (1983). Son travail tourne autour de la parole brute.
« Drôle d’idée, se dit-on en rentrant dans la salle. Bonne idée, se dit-on en sortant. Parce que Zabou Breitman en a fait un spectacle fin, drôle et touchant, qui pose en douce quelques questions sur la normalité et la folie, et sur le regard que l’on porte sur elles. Loin de trahir la justesse d’approche du grand documentariste, la comédienne et metteuse en scène, en faisant de ces tranches de vie filmées un matériau théâtral, en dégage l’essentiel : leur universalité. » ©Fabienne Darge, « Le Monde », 26/09/08.
« Dans ce travail d’adaptation, il faut prendre les mots, les poser, les regarder, y trouver une poésie… et en même temps laisser arriver notre imaginaire. On ne peut donc pas parler et penser comme eux, notre rythme n’étant pas le leur. On a tendance à récupérer les mots et à les faire nôtres. En fait, il s’agit de redonner une scansion qui ne nous appartient pas! »
Zabou Breitman. Desmotsdeminuit, 2008.
Le philosophe Maxime Rovère et Marek Kowspi accompagné par Chiphowka et Agatoak Kowspi (tous trois artistes contemporains membres d’une famille de Nouvelle Guinée) expliquent l’exposition « Rouge Kwoma » sur les peintures de Papouasie Nouvelle Guinée.
Dans le cadre d’un musée, le risque de la récupération est faible. L’objectif n’est pas commercial. Le message n’est donc pas découpé. Pour eux, la démarche consiste à donner à d’autres ce que, jusqu’à présent, ils gardaient pour eux. Il y a une démarche de brisure du secret qui est au fondement de leur démarche actuelle…
Maxime Rovère. Des mots de minuit, 2008.
Quand on est arrivés à l’aéroport, on a cru que nous étions dans un rêve. Moi, je dirais que Paris, c’est beau, charmant et créatif. Pour nous, ces immeubles, c’est énorme et vieux. Vos ancêtres ont créé ça avec leurs connaissances. C’est ça qui nous impressionne!
Marek Kowspi. Des mots de minuit, 2008.
Musique:
Jeff Mills aux platines.
Spleen, le chanteur franco-camerounais et ses musiciens interprètent « Tu l’aimeras » extrait de son nouvel album « Comme un enfant ».
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