Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #117: Portrait dans un bureau d’Abidjan
L’autre midi, je me suis retrouvé dans l’antichambre du Directeur Général, occupé essentiellement à attendre mon tour. Son assistante m’avait appelé 15 minutes plus tôt, pour me dire qu’Il souhaitait me voir. Manque de chance, une équipe de la télévision ivoirienne était arrivée cinq minutes avant…
… et j’entendais maintenant à travers la porte capitonnée le bruit étouffé d’une conversation formatée pour l’audience du soir.
L’assistante du DG est une jeune femme agréable, qui semble avoir été enchaînée à son bureau. Quand je viens tôt le matin, elle est là. Quand je passe tard le soir, elle est encore là. Je sais aussi qu’elle y passe régulièrement le samedi ou le dimanche; non pas que je sois allé vérifier – j’insiste pour ne pas travailler le week-end – mais elle me l’a dit. Un soir que je lui trouvais grise mine, elle m’a expliqué qu’elle n’avait pas pris de vacances depuis trois ans. D’ailleurs, dans cette direction générale, qui vit au rythme de son directeur général aux ambitions insatisfaites, personne ne prend jamais de vacances. Sauf peut-être une journée ici ou là, le plus souvent pour aller à un enterrement. Et sauf pour Ali, un conseiller du DG surnommé « l’Américain », dont la première chose que l’on m’ait dite à son sujet, c’était que lui prenait des vacances. Mais il a une bonne excuse: il les prend pour aller voir sa femme à Washington DC. Une fois par an.
L’assistante du DG a très souvent le sourire – enfin, au moins quand elle me voit arriver, car je lui fais parfois la conversation, tandis que le staff de la direction la regarde plutôt comme une commode. Et ce midi, comme je n’ai rien à lire avec moi, je déambule dans le bureau et la conversation démarre sur les vacances que j’ai prises pour aller voir ma fille dans son université du Midwest (je suis l’autre Américain de la direction). Je lui montre une photo, elle me demande si elle est ma fille unique, et quand je lui réponds que oui, elle s’enquiert de quand je vais lui faire un petit frère. En Afrique, vous pouvez bien avoir soixante-dix ans, on vous posera tout de même la question – pas par politesse, mais parce que c’est vraiment normal de faire des enfants à tout âge. Et avoir un seul enfant, c’est trop triste.
La conversation suit un cours familier, explorant les différences entre la famille en Europe et la famille ici. D’un coté la solitude, de l’autre le poids accablant de la parentèle. De la difficulté à s’épanouir comme individu, à avoir sa propre vie. Elle m’explique que la seule façon d’y arriver, c’est d’habiter un tout petit studio. Si vous avez un appartement avec deux ou trois chambres, vous êtes foutus. La famille va venir, voir que vous avez de la place, et viendra s’installer. Et à ce moment-là, c’est la fin, vous ne vous appartenez plus. « Mais quand ils voient le petit studio, ils laissent tomber », dit-elle dans un sourire.
La scène peut être vue dans la perspective inversée, comme dans ce portrait peint par Emeline Michel, la chanteuse haïtienne. « Amandine » est une jeune femme:
L’assistante du DG est une jeune femme agréable, qui semble avoir été enchaînée à son bureau. Quand je viens tôt le matin, elle est là. Quand je passe tard le soir, elle est encore là. Je sais aussi qu’elle y passe régulièrement le samedi ou le dimanche; non pas que je sois allé vérifier – j’insiste pour ne pas travailler le week-end – mais elle me l’a dit. Un soir que je lui trouvais grise mine, elle m’a expliqué qu’elle n’avait pas pris de vacances depuis trois ans. D’ailleurs, dans cette direction générale, qui vit au rythme de son directeur général aux ambitions insatisfaites, personne ne prend jamais de vacances. Sauf peut-être une journée ici ou là, le plus souvent pour aller à un enterrement. Et sauf pour Ali, un conseiller du DG surnommé « l’Américain », dont la première chose que l’on m’ait dite à son sujet, c’était que lui prenait des vacances. Mais il a une bonne excuse: il les prend pour aller voir sa femme à Washington DC. Une fois par an.
L’assistante du DG a très souvent le sourire – enfin, au moins quand elle me voit arriver, car je lui fais parfois la conversation, tandis que le staff de la direction la regarde plutôt comme une commode. Et ce midi, comme je n’ai rien à lire avec moi, je déambule dans le bureau et la conversation démarre sur les vacances que j’ai prises pour aller voir ma fille dans son université du Midwest (je suis l’autre Américain de la direction). Je lui montre une photo, elle me demande si elle est ma fille unique, et quand je lui réponds que oui, elle s’enquiert de quand je vais lui faire un petit frère. En Afrique, vous pouvez bien avoir soixante-dix ans, on vous posera tout de même la question – pas par politesse, mais parce que c’est vraiment normal de faire des enfants à tout âge. Et avoir un seul enfant, c’est trop triste.
La conversation suit un cours familier, explorant les différences entre la famille en Europe et la famille ici. D’un coté la solitude, de l’autre le poids accablant de la parentèle. De la difficulté à s’épanouir comme individu, à avoir sa propre vie. Elle m’explique que la seule façon d’y arriver, c’est d’habiter un tout petit studio. Si vous avez un appartement avec deux ou trois chambres, vous êtes foutus. La famille va venir, voir que vous avez de la place, et viendra s’installer. Et à ce moment-là, c’est la fin, vous ne vous appartenez plus. « Mais quand ils voient le petit studio, ils laissent tomber », dit-elle dans un sourire.
La scène peut être vue dans la perspective inversée, comme dans ce portrait peint par Emeline Michel, la chanteuse haïtienne. « Amandine » est une jeune femme:
elle a son boulot, elle a son auto, elle a tout c’qu’il faut, mais elle est toute seule, toute seule…
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