Théâtre, les fantaisies ébouriffantes du fabuleux Patrick Robine
Dans « Le Cri de la pomme de terre du Connecticut », le conteur toujours prolixe, à la fois comédien, imitateur génial d’objets improbables, poète imaginatif et homme de scène hors pair présente un de ses spectacles les plus accomplis, impeccablement servi par la mise en scène de Jean-Michel Ribes
Patrick Robine connaît son affaire. Question d’expérience. Outre la purée mousseline, il fait aussi très bien la ratte du Touquet, la roseval à l’étouffée, la belle de fontenay, la pomme de terre nouvelle et l’on en passe. Son précédent spectacle s’appelait La Ferme des concombres, aussi pourrait-on voir en lui un spécialiste des seuls végétaux. Erreur. Même si encore une fois il n’a pas son égal pour imiter, par exemple, toujours en situation, le séquoia, le pin des landes ou le platane de cour d’école – il faudrait aussi mentionner le robinet qui coule, les lacs ou même l’œuf au plat –, ses capacités vont bien au-delà.
Inventeur, poète, botaniste, affabulateur intarissable, Patrick Robine est aussi un géographe audacieux, arpenteur des contrées les plus loufoques de l’imaginaire. Voir un de ses spectacles, c’est un peu comme larguer les amarres. On ne sait jamais très bien où il nous embarque, mais on est toujours sûr que, peu importe l’itinéraire, on ne risque pas de s’ennuyer.
Entré sur scène sans crier gare, il a quelque chose d’un fêtard en robe de chambre, à moins qu’il ne s’agisse d’un mage avec cette large bande de tissu autour du bassin. De même qu’il glisse avec la souplesse d’un danseur d’un côté à l’autre du plateau, Robine surfe d’un sujet au suivant, parfois sans transition, avec la plus grande agilité. Tombé au fond d’un trou d’où il observe par en dessous une famille de pommes de terre, le voilà bientôt chevauchant un élan sur la côte ouest de l’Afrique.
Il a baptisé l’animal, rencontré en Espagne à la sortie d’une boîte de nuit, du nom de Ramuntcho – peut-être en souvenir de Pierre Loti. Cet élan vêtu d’un vieux duffle-coat a des capacités étonnantes. Il sait voler, par exemple, en expulsant de l’air par son postérieur. Mais perd parfois connaissance en plein ciel, ce qui peut s’avérer dangereux. La nuit, l’animal parle en dormant et prend pour lui toute la couverture. Il est aussi l’occasion pour Patrick Robine de faire l’élan, bien sûr. Puis, un peu plus tard, après avoir aperçu au milieu d’une grotte un vieux lion de l’Atlas en train de lire du Roland Barthes à la lumière d’une lampe de chevet d’imiter le battement du cœur lent de l’animal.
Que dans un tel contexte, notre aventurier tombe sur une armoire hollandaise, celle-là même qui avait appartenu à sa tante Simone n’a rien de très étonnant. Cette armoire aussi profonde qu’une ancienne maison de famille conduit justement vers la demeure où le héros passa son enfance. Le récit foisonne dans une efflorescence baroque où abondent inventions loufoques et autres gondolantes parodies toujours très inspirées. Entre une imitation du cassoulet du Congo – des noix de coco y remplacent les haricots – puis des chutes du Zambèze , de près mais aussi vues d’avion, Robine fait flèche de tout bois dans ce qui est haut la main un de ses meilleurs spectacles.
Quand il dit, toujours pince-sans-rire « j’aime parler! J’adore le son de ma voix!!! Ah si je pouvais… je m’arrêterais de parler pour m’écouter…« , on pense pendant une seconde à un certain homme d’état, pour le coup réellement trop bavard, avant d’être une fois de plus secoué de rire. Car le héros vient d’entamer assis sous un arbre quelque part en Afrique une conversation avec un rhinocéros, lequel comme il se doit parle du nez. Le rhinocéros attend le bus. Il va à Concarneau. Et Robine de conclure: « On a fait la route ensemble« .
Le Cri de la pomme de terre du Connecticut
de et par Patrick Robine, mise en scène Jean-Michel Ribes
jusqu’au 30 octobre au Théâtre du Rond-Point, Paris.
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