« Het land nod », la salle Rubens du musée d’Anvers sens dessus-dessous
Accueilli pour la première fois au festival d’Avignon, le collectif anversois invente un spectacle à la fois drôle et d’une rare finesse dans lequel il interroge l’interaction entre la mémoire et la fragilité humaine. Une exploration très enlevée inspirée du clown et des arts du cirque où l’espace joue en quelque sorte le rôle principal.
L’espace vide impressionne par ses proportions: hauteur, largeur, profondeur. Les murs très élevés sont destinés à accueillir de gigantesques toiles de maîtres. D’ailleurs tandis qu’un employé nettoie le sol avec une machine, d’autres s’affairent à accrocher ou décrocher – cela n’est pas clair – une crucifixion. Nous sommes dans la salle Rubens du Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers; plus précisément, nous nous trouvons à l’intérieur d’une reconstitution de cette salle conçue par le collectif belge FC Bergman qui en a produit une réplique à l’identique installée dans le Parc des Expositions à quelques kilomètres d’Avignon. Ce collectif composé des comédiens et plasticiens, Stef Aerts, Joé Agemans, Bart Hollanders, Matteo Simoni, Thoas Verstraeten et Marie Vinck, s’est illustré depuis sa naissance à la fin des années 2000 par ses créations hors normes dont Het land nod constitue un exemple particulièrement significatif.
Le Musée royal des Beaux-Arts est actuellement fermé au public en raison de travaux de réhabilitation prévus pour durer six ans. Cette interruption a amené les membres de FC Bergman à explorer sous les angles les plus inattendus ce que représente une telle salle chargée d’histoire et d’imaginaire. Sachant qu’en 1944, une fusée V2 s’est abattue tout près détruisant plusieurs maisons attenantes. Même si le musée a été épargné, les coupoles en verre de la toiture, les plafonds, les revêtements muraux et de nombreux tableaux ont été endommagés.
Espace protégé par excellence, abri, lieu de recueillement propice à la réflexion et à la contemplation face aux œuvres d’art qu’elle expose, la salle Rubens apparaît aussi comme un lieu de vie traversé par les imaginaires de ceux qui la visitent. En même temps, les travaux en cours et le souvenir des bombardements suggèrent en sous-main la notion d’un espace vulnérable, faisant de ce temple moderne qu’est le musée un écrin fragile, sensible aux perturbations aussi bien de l’extérieur que l’intérieur. D’autant que pour une raison ou pour une autre, le musée induit un certain type de comportement, une forme de décalage en vertu de quoi face aux œuvres qui nous observent autant que nous les contemplons nos gestes les plus intimes, mais pas seulement, peuvent parfois paraître incongrus comme s’ils n’avaient plus tout à fait le même sens.
Il y a là une brèche dans laquelle les membres du collectif FC Bergman s’engouffrent allègrement. À commencer bien sûr par l’inévitable couple de visiteurs asiatiques qui se prennent en photos sur fond de crucifixion – sauf que le piquant de l’affaire repose ici surtout sur un malheureux technicien qui ayant entrepris, équipé d’un mètre pliant un peu trop court, de prendre les mesures de la toile, s’est retrouvé après être grimpé sur une échelle, suspendu en l’air par une manche de sa blouse.
Le Musée royal des Beaux-Arts est actuellement fermé au public en raison de travaux de réhabilitation prévus pour durer six ans. Cette interruption a amené les membres de FC Bergman à explorer sous les angles les plus inattendus ce que représente une telle salle chargée d’histoire et d’imaginaire. Sachant qu’en 1944, une fusée V2 s’est abattue tout près détruisant plusieurs maisons attenantes. Même si le musée a été épargné, les coupoles en verre de la toiture, les plafonds, les revêtements muraux et de nombreux tableaux ont été endommagés.
Espace protégé par excellence, abri, lieu de recueillement propice à la réflexion et à la contemplation face aux œuvres d’art qu’elle expose, la salle Rubens apparaît aussi comme un lieu de vie traversé par les imaginaires de ceux qui la visitent. En même temps, les travaux en cours et le souvenir des bombardements suggèrent en sous-main la notion d’un espace vulnérable, faisant de ce temple moderne qu’est le musée un écrin fragile, sensible aux perturbations aussi bien de l’extérieur que l’intérieur. D’autant que pour une raison ou pour une autre, le musée induit un certain type de comportement, une forme de décalage en vertu de quoi face aux œuvres qui nous observent autant que nous les contemplons nos gestes les plus intimes, mais pas seulement, peuvent parfois paraître incongrus comme s’ils n’avaient plus tout à fait le même sens.
Il y a là une brèche dans laquelle les membres du collectif FC Bergman s’engouffrent allègrement. À commencer bien sûr par l’inévitable couple de visiteurs asiatiques qui se prennent en photos sur fond de crucifixion – sauf que le piquant de l’affaire repose ici surtout sur un malheureux technicien qui ayant entrepris, équipé d’un mètre pliant un peu trop court, de prendre les mesures de la toile, s’est retrouvé après être grimpé sur une échelle, suspendu en l’air par une manche de sa blouse.
Il figurera sans aucun doute sur le selfie du couple, lequel en attendant n’a rien vu. Ne rien voir dans un musée, c’est déjà tout un art. Précisons que ce spectacle dont l’humour délicieux renvoie aux classiques du cinéma muet est entièrement sans paroles – à l’exception d’une citation de Jean-Luc Godard en voix off et de Nina Simone chantant Summertime.
Burlesque
Le tableau de Rubens, où l’on voit le Christ percé d’une lance sur la croix entre les deux larrons, produit tout de même des effets étranges sur les visiteurs. Il y a, par exemple, cette jeune femme qui tombe systématiquement dans les pommes en le regardant. Un type se déshabille complètement comme s’il voulait soit imiter soit faire partie de la toile, ou alors c’est que, très à son aise, il se sent carrément chez lui. Bientôt il va s’étriper un avec un visiteur qui l’a attaqué sans crier gare. On pourrait y voir une allusion à l’histoire de Caïn et Abel ou aux deux larrons qui encadrent le Christ – sachant que le titre du spectacle Het land nod (Le pays de nod) fait référence au lieu où Caïn fut exilé après avoir tué son frère Abel.
Profitant d’un instant de solitude un gardien enlève ses chaussures et soulagé s’ébroue comme un enfant en traversant la salle en tous sens d’un pas enlevé de patineur. La folie douce qui s’empare des uns et des autres, laissant libre cours à la fantaisie la plus débridée, est à peine contrariée par l’obstination destructrice de l’employé qu’on a vu un peu plus tôt tenter en vain de mesurer la toile. Ayant échoué dans son entreprise, il a brisé de dépit son mètre en mille morceaux et après avoir tenté de découper le Rubens à la scie, le voilà qui attaque à coups de masse le chambranle de la porte frontale de la salle.
Le chaos s’installe tandis qu’on entend des détonations de bombes – à moins qu’il ne s’agisse d’un orage. Nous ne sommes plus tant dans un musée que dans un espace incessamment modifié par les pulsions de ceux qui le traversent. En ce sens FC Bergman nous livre un concentré d’humanité sur un mode burlesque qui relève pour une bonne part du clown, voire du cirque avec un clin d’œil appuyé au monde de l’enfance. On nage le crawl sur un tapis de couvertures avant d’être emportés par les vagues. On fait un feu pour se réchauffer assis devant sa tente jusqu’à ce que la pluie tombe et que la tente s’envole.
Les images variées se forment et se transforment autant qu’elles s’interpénètrent au gré d’une plasticité que rien ne peut entraver. Si la destruction menace et se réalise en partie offrant bientôt la vision d’un paysage d’apocalypse totalement dévasté, une lueur demeure cependant portée par la grâce et la légèreté de ces doux dingues acharnés à poursuivre jusqu’au bout leurs lubies.
Une lueur que relaient bientôt des traces lumineuses révélant l’emplacement de tableaux autrefois accrochés à ces murs qui décidément en ont vu de toutes les couleurs et en verront encore d’autres avant que l’humain disparaisse définitivement de la surface de la terre et donc aussi du musée.
Accueillis pour la première fois au festival d’Avignon, c’est tout cas un plaisir de découvrir avec ce Het lan nod une nouvelle facette de l’œuvre du phénoménal et toujours ingénieux collectif FC Bergman, dont chaque création de Terminator Trilogie en 2012 à Van den vos en 2013 est d’autant plus excitante qu’elle s’appuie sur une esthétique différente.
Profitant d’un instant de solitude un gardien enlève ses chaussures et soulagé s’ébroue comme un enfant en traversant la salle en tous sens d’un pas enlevé de patineur. La folie douce qui s’empare des uns et des autres, laissant libre cours à la fantaisie la plus débridée, est à peine contrariée par l’obstination destructrice de l’employé qu’on a vu un peu plus tôt tenter en vain de mesurer la toile. Ayant échoué dans son entreprise, il a brisé de dépit son mètre en mille morceaux et après avoir tenté de découper le Rubens à la scie, le voilà qui attaque à coups de masse le chambranle de la porte frontale de la salle.
Le chaos s’installe tandis qu’on entend des détonations de bombes – à moins qu’il ne s’agisse d’un orage. Nous ne sommes plus tant dans un musée que dans un espace incessamment modifié par les pulsions de ceux qui le traversent. En ce sens FC Bergman nous livre un concentré d’humanité sur un mode burlesque qui relève pour une bonne part du clown, voire du cirque avec un clin d’œil appuyé au monde de l’enfance. On nage le crawl sur un tapis de couvertures avant d’être emportés par les vagues. On fait un feu pour se réchauffer assis devant sa tente jusqu’à ce que la pluie tombe et que la tente s’envole.
Les images variées se forment et se transforment autant qu’elles s’interpénètrent au gré d’une plasticité que rien ne peut entraver. Si la destruction menace et se réalise en partie offrant bientôt la vision d’un paysage d’apocalypse totalement dévasté, une lueur demeure cependant portée par la grâce et la légèreté de ces doux dingues acharnés à poursuivre jusqu’au bout leurs lubies.
Une lueur que relaient bientôt des traces lumineuses révélant l’emplacement de tableaux autrefois accrochés à ces murs qui décidément en ont vu de toutes les couleurs et en verront encore d’autres avant que l’humain disparaisse définitivement de la surface de la terre et donc aussi du musée.
Accueillis pour la première fois au festival d’Avignon, c’est tout cas un plaisir de découvrir avec ce Het lan nod une nouvelle facette de l’œuvre du phénoménal et toujours ingénieux collectif FC Bergman, dont chaque création de Terminator Trilogie en 2012 à Van den vos en 2013 est d’autant plus excitante qu’elle s’appuie sur une esthétique différente.
Het land nod, de et par FC Bergman
> jusqu’au 23 juillet festival d’Avignon
> 18 au 21 août à Zurich (Suisse)
> 16 au 20 mai 2017 à la Grande Halle de la Villette de Paris
Tout Avignon sur des mots de minuit…
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