Amours au long cours… Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula. « Nomad’s land » #202
Marco, qui s’était rêvé capitaine au long cours, finit par poursuivre des amours au long cours…
Les premières rêveries que je m’accordais quant à ce que je pourrais bien faire quand je serais devenu grand avaient une fixation particulière: je me voyais capitaine au long cours* sur un cargo sillonnant les mers, peut-être à l’image du Capitaine Haddock (quoique je ne m’imaginais pas barbu). Et puis, après que mon intérêt pour les aventures de Tintin et du Capitaine se fut affaibli, et que j’eus compris que la vie en mer serait une longue monotonie entrecoupée occasionnellement de relâches dans des ports exotiques et des moments d’intense frayeur pendant les tempêtes, j’abandonnais ce rêve, mais sans renoncer à l’idée de l’errance et de l’exploration du monde. Et donc, l’idée de poursuivre une vie de famille stable, ancrée dans des routines et des voisinages immuables, avec une carrière dans quelque chose, ne m’effleurait pas l’esprit. Quant à l’amour et ses liens, alors, je n’y pensais pas trop.
Je m’en allai donc sur les routes du monde, passant quelques années ici, quelques années là, sans en avoir vraiment rien prémédité, au gré des circonstances. Comme il peut arriver dans ces situations, les relations se sont faites puis défaites, sans que j’eusse l’intention de les conclure et plutôt en raison de mon absence d’intérêt pour la stabilité que je prenais pour de l’ennui.
Les tesselles de notre mosaïque…
Au début des années 2000 j’entrai dans une sorte de danse syncopée entre l’Amérique et l’Afrique, résultat d’un choix, celui de rester proche de ma fille tout en menant la carrière que j’avais voulu – avec détermination – poursuivre. S’était alors produit une sorte de gigue: je passais quelques semaines en Afrique, puis rentrais pour de plus nombreuses semaines à Washington, pour aucune autre raison vraiment que de pouvoir être là avec elle et l’aider à grandir (si tant est qu’une telle ambition soit réalisable). J’ai donc pu jouer avec elle au badminton sur la pelouse devant la maison, lui inoculer la passion du cheval, lui faire découvrir quelques musiciens, lui ramener de la lave du Rwanda et des pierres de Madagascar, l’emmener faire du kayak sur le Potomac, etc. Ce sont les tesselles de notre mosaïque.
Quand, tout soudain, ma fille se retrouva elle aussi sur les routes de l’expatriation – pour des raisons professionnelles dans la famille de sa mère – je changeais de stratégie et optais pour une installation en Afrique, à quelques pays de là. Cette relation-là n’allait pas être défaite. Ce fut le début de la période nomade.
Les nomades ne rencontrent naturellement que d’autres nomades, et je rencontrais donc Paula. Elle arrivait d’Abuja, je débarquais de Washington, c’était une rencontre improbable, d’autant que Paula ne voulait entendre parler ni des États-Unis ni de ses ressortissants, et regardait les porteurs de valise des grandes organisations internationales avec une suspicion avérée.
Deux années s’écoulèrent, puis une nouvelle crise secoua la Côte d’Ivoire, et nous prîmes le chemin de l’exil, quittant – pour paraphraser un ami néanmoins poète – la proximité des choses vraies de notre passé, un passé qui était neuf et fort jeune. Paula partit à Paris, j’allai à Brazzaville. Il nous resta les emails et Skype, un peu d’histoire et l’amour.
Nos ancres…
S’ensuivent nos années d’exil nomade, l’un ici, l’autre là, avec des intermèdes, certains heureusement parfois assez longs, pendant lesquelles nous avons pu renouer avec l’intime, le toucher, les petites frustrations du quotidien, les tête-à-tête légers à la teneur parfois banale, les échanges d’autres fois plus « compliqués », les petits-déjeuners autour de France Culture, les dimanches et les nuits, le quotidien de la vie. Ces moments sont nos ancres, auxquels nous restons solidement amarrés quand l’un va sans l’autre, quand nous vivons sous des cieux séparés.
Paula étant allergique au téléphone, la révolution technologique vint nous sauver en lançant Skype (dont le nom vient de Sky – le ciel). Avec cet écran radar, nous pouvons nous voir et nous parler, guetter sur le visage de l’autre – parfois extrêmement pixélisé, il est vrai – les émotions sous-jacentes aux mots, les non-dits, les humeurs noires ou joyeuses. Nous avons donc nos rendez-vous, deux fois par jour, dans un endroit qui doit être l’Éther et je soupçonne que, dans ces tête-à-tête protégés du monde, nous nous parlons avec plus de complicité et nous disons des choses plus intimes que si nous étions sous le même ciel, et sous le même toit. La parole est notre lien.
Et puis, dans ce voyage d’amour au long cours, nous avons une ancre maîtresse, ce moment que nous nous promettons: nous retrouver sous un même toit et mettre un terme à notre exil intime. Tous les marins, un jour, retournent au port d’attache; le nôtre sera celui du quotidien.
*Au XVIIe siècle, les capitaines au long cours étaient ceux qui partaient au-delà des tropiques.
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