Philippe Rahmy (1965-2017): les mots contre une essentielle fragilité
Dès l’enfance, parce qu’on ne peut pas jouer avec les autres, rendre avec des mots son corps « plus présentable »; rouler en fauteuil et porter un chapeau comme une maison protectrice; écrire contre l’entropie qui « déboulonne et qui dévisse » mais offrir une idée « anarchiste » mais si poétique de la vie; inventer des formes littéraires; et toujours un sourire éclatant : c’était Philippe Rahmy!
« Des mots de minuit » : émission du mercredi 3 octobre 2007.
Réalisation : Jean-François Gauthier
©Des mots de minuit/France 2
Le choix Des mots de minuit.
Il écrit des textes sur l’anarchiste qui « fait l’expérience de l’altérité en faisant celle de la faiblesse ». Il est né à Genève il y a 32 ans, il porte des chapeaux et fait de l’égyptologie. Il pleure, coule, se masturbe et meurt à petit feu constant, dans la peau et dans l’âme, de l’irrémédiable. La maladie des os de verre. Philippe Rahmy avait déjà entamé dans « Mouvement par la fin » (2005) -un premier livre- un « portrait de la douleur » qui lui fut « offerte au lieu de la vie » et qu’il « respire comme la mer ». Cette chronique est inapte à vouloir rendre ce que ses mots bouleversants lui permettent de survivance. « Demeure le corps », chant d’exécration perpétue le travail de l’écrivain. « Savoir que je me tue en chacun de mes mots parce que je n’ai d’autre moyen pour témoigner de ma bonne foi que de laisser ce corps en gage ; je ne fais aucune différence entre lui et ce que je souhaiterais écrire… » Le lecteur éprouve plus qu’il ne lit une poétique qui « mesure la résistance des chairs ». Elle est éprouvante mais nécessaire. Il peut offrir à lire et à partager sans compassion l’absurde humanité et l’abomination d’un corps réduit à un « orifice naturel du malheur ». La morphine et les opérations font le reste. « les crises agrippent le ciel ». Car, il y a une mère, un rire qui balaie les couloirs d’un hôpital, le vent, une fenêtre…
« Comment ne pas mourir… » L’agonie de Philippe Rahmy ouvre à la conscience du nous, les autres. « Les livres qui comptent, ceux que personne ne peut écrire ; la vie, celle dont personne ne veut, mes draps témoignent de ce qui fut gagné sur le mensonge … »
La collection Grands Fonds chez Cheyne Éditeur entend réunir des textes choisis pour leur vérité humaine et leur exigence formelle.
« Demeure le corps ». Cheyne editeur.Le magazine littéraire. Ph. L., septembre 2007
Il est mort à 52 ans, le 1er octobre, quelques semaines après la publication de Monarques (La Table ronde), l’un des livres marquants de cette rentrée 2017. Un hommage à son père égyptien, un récit d’enfance sous le signe de la maladie et une évocation de Herschel Grynszpan, un adolescent juif de 17 ans qui, venant d’apprendre que ses parents étaient expulsés du Reich, tua Ernst von Rath, un fonctionnaire nazi à Paris en 1938. Un meurtre qui déclencha la nuit de cristal en novembre de cette année-là.
À l’automne 1983, je quitte ma campagne au pied du Jura, pour suivre des cours à l’école du Louvre. Je découvre Saint-Germain-des-Prés, ses librairies, ses éditeurs, ses cafés, ses cabarets. Mais en Suisse, à la ferme, mon père est malade. J’apprends qu’il est à l’agonie le jour où je croise le nom d’Herschel Grynszpan, un adolescent juif ayant fui l’Allemagne nazie en 1936, et cherché refuge à Paris.
Il m’a fallu trente ans pour raconter son histoire en explorant celle de ma propre famille. J’ai frappé à de nombreuses portes, y compris celles des tombeaux. J’ai voyagé en carriole aux côtés de ma grand-mère, de ma mère et de mes deux oncles fuyant Berlin sous les bombardements alliés. Je me suis embarqué pour Alexandrie en compagnie de mes grands-parents paternels, et j’ai assisté à la naissance de mon père dans une maison blanche au bord du désert. Un père dont j’ai tenu la main sur son lit de mort, avant de découvrir son secret. Herschel a cheminé à mes côtés durant mes périples, autant que j’ai cherché à retrouver sa trace.Philippe Rahmy. »La table ronde », 2017.
Philippe Rahmy venait d’obtenir une résidence d’écriture à la Fondation Jan Michalski à Montricher.
Après deux recueils de poésie, parus aux Editions Cheyne en 2005 et 2007, il a exploré diverses formes d’écriture expérimentale, notamment sur la plateforme de création et de critique littéraire remue.net, dont il était l’un des piliers. Maniant images, sons, vidéos et mots, Philippe Rahmy avait toujours plusieurs projets poétiques en cours, comme celui sur les villes abandonnées, projet d’écriture collaborative sur les ruines pour les Editions D-Fiction.
Je veux encore dire que chaque vie me semble plus digne d’amour que la mienne mais que je n’en désire aucune autre, pas même celle dont je suis privé. Il vient dans cet absentement concret qui me blesse un peu plus de beauté chaque jour : à mesure que je m’éloigne de la lumière, je m’enfonce davantage en elle.
Philippe Rahmy. Cheyne Éditeurs, 2005.
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