« Une Antigone à Kandahar » de Joydeep Roy-Bhattacharya : Sophocle est pachtoun
Extérieur jour. Le couinement d’une charrette sur un chemin de montagne. Doigts sur les gâchettes dans le fortin US. Corps ensanglantés dans le no man’s land de l’avant-poste. Nizam reconnaît Youssouf son frère. Il lui faut coûte que coûte l’enterrer. Et tout le monde paiera le même prix dans le remugle des consciences. Roman choral, violent, éprouvant. Nizam n’a plus ses jambes. Un drone?
On peut visionner ce livre. Son tout image est saisissant mais sa complexité est magistrale. Joydeep Roy-Bhattacharya actualise et fractalise la tragédie. Nous sommes en Afghanistan. Les Américains, après le Vietnam, après les Russes, s’y sont depuis longtemps embourbés et leur « fort » de Tarsândan –« une construction rudimentaire bâtie à la hâte avec du pisé, des sacs de sable et des murs de pierres sèches. Une excroissance étrangère. »– ne tient à rien. Une jeune afghane, qui dans sa « burqua bleu pastel… a l’air d’un mirage contre le brun grisâtre du sol », agite une chemise blanche et va demander aux soldats de la garnison perdue de pouvoir respecter le corps de son frère. Mais son délit de faciès, au bas de sa montagne, est terroriste. Elle peut vouloir la tradition. Ils peuvent penser la bombe. Tout et son contraire. Créon et ses hommes n’entendent que ce que leur dicte leur état d’âme. Et l’auteur d’aligner face au devoir et à la nécessité de l’Antigone des plateaux afghans l’ambivalence et les doutes d’un choeur déchiré par la guerre: le lieutenant, le toubib, l’interprète, l’adjudant… Contemporanéité tragique et transposition littéraire qui alignent dans un face à face sans merci Pachtouns, Talibans, forces armées étrangères qui, quelle que puisse être leur mission (« On est censés représenter autre chose que la seule puissance des armes ») occupent.
Mais la guerre est ici dans les têtes et dans les volontés qui s’affrontent. Elles disent des civilisations et des façons de penser que la mémoire, la politique ou les propagandes d’état-major ont assignées à un penser droit qu’une femme (« une gonzesse amputée« ) pulvérise au son de son instrument. « Nous avons apprécié votre luth hier soir, c’était reposant. Je ne réponds pas. Ils disent: c’est bien que vous puissiez à nouveau jouer de la musique dans ce pays. Sous les talibans, c’était interdit, mais nous avons changé cela. C’est ça la liberté. Je dis: sous les talibans, ma famille était en vie. Aujourd’hui, ils sont tous morts. Qu’est-ce qui est mieux, la liberté ou la vie? »
C’est à cet à-vif sans réponse que nous confronte remarquablement Joydeep Roy-Bhattacharya.
Mais la guerre est ici dans les têtes et dans les volontés qui s’affrontent. Elles disent des civilisations et des façons de penser que la mémoire, la politique ou les propagandes d’état-major ont assignées à un penser droit qu’une femme (« une gonzesse amputée« ) pulvérise au son de son instrument. « Nous avons apprécié votre luth hier soir, c’était reposant. Je ne réponds pas. Ils disent: c’est bien que vous puissiez à nouveau jouer de la musique dans ce pays. Sous les talibans, c’était interdit, mais nous avons changé cela. C’est ça la liberté. Je dis: sous les talibans, ma famille était en vie. Aujourd’hui, ils sont tous morts. Qu’est-ce qui est mieux, la liberté ou la vie? »
C’est à cet à-vif sans réponse que nous confronte remarquablement Joydeep Roy-Bhattacharya.
L’éditeur précise que « Joydeep Roy-Bhattacharya est né à Jamshedpur, en Inde. Il a étudié la philosophie et les sciences politiques, puis les relations internationales et la philosophie politique en Pennsylvanie. Il vit aujourd’hui dans l’Etat de New York ». C’est son deuxième livre traduit en français après « Le club Gabriel » chez Actes Sud.
Joydeep Roy-Bhattacharya.
feuilleter quelques pages du livre
La critique Littéraire desmotsdeminuit.fr
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