» Un automne de Flaubert » d’Alexandre Postel: Flaubert à bout de nerfs 📚
Prix Goncourt du premier roman pour Un homme effacé, Alexandre Postel s’attaque dans son quatrième livre à un monument des lettres françaises et révèle l’auteur de Madame Bovary sous un jour inédit.
Nous sommes en 1875, l’auteur de L’éducation sentimentale a cinquante-trois ans. Il est menacé de ruine financière, accablé de chagrin, ne parvient plus à dormir, encore moins à écrire, et pleure pour un oui pour un non. En un mot il fait ce qu’on appelle aujourd’hui une dépression. Comme souvent dans ces cas- là, les causes sont multiples. Certes, il a perdu sa mère et peine à s’en remettre. Certes, il patine sur ce livre qui deviendra Bouvard et Pécuchet, ce dont il est loin de se douter, et décide pour l’heure de l’abandonner: « Ce chien de livre, peut-être au fond n’est-il pas faisable« . Certes, la maison où il a passé trente ans de sa vie, et qui lui assurait de confortables revenus, est sur le point d’être vendue. Mais il y a pire. Croisset vendue signifie que Flaubert va devoir travailler. C’est-à-dire faire autre chose que se consacrer à l’écriture et « la perspective de découvrir à cinquante ans la vie de bureau le désole« . Voltaire avait raison « La vie est une froide plaisanterie ».
Alors pour se changer les idées, Flaubert décide de quitter sa Normandie natale non pas pour l’Egypte, qu’il a déjà immortalisée dans Salammbô, mais pour Concarneau. Idée d’autant plus surprenante qu’il y a déjà séjourné et n’en garde guère un souvenir impérissable: « Pluie. Pluie« . Mais cette fois tout est différent. Flaubert sait qu’il y retrouvera Georges Pouchet, médecin de son état. L’homme est tout ce qu’il n’est pas. Scientifique, quand il est littéraire. Sûr de lui, quand il doute de son fait. L’entente sera parfaite. En quelques semaines l’auteur de Madame Bovary retrouve goût à la vie.
Justesse et dérision
C’est cet épisode méconnu de la vie de Flaubert qu’Alexandre Postel a choisi de raconter dans ce petit livre aussi réjouissant qu’érudit. Sous sa plume au style flaubertien en diable, l’ermite de Croisset tient plus du « garçon-boucher » ou du « vieux cabotin » que du grand écrivain. Mais qu’est-ce qu’un écrivain incapable d’écrire? « Lui qui, en ses moments d’exaltation, se rêvait en Christ de l’art, en athlète du style, en dernier des Latins, découvre soudain son reflet dans le miroir et ce reflet est celui d’un petit enfant, d’un petit garçon à peine capable de faire ses besoins. C’est plus qu’une humiliation: une déchéance. ».
Il fallait toute l’empathie d’un jeune écrivain au talent éclatant, toute sa tendresse aussi, pour dire avec tant de justesse et de dérision attendrie les affres de l’écriture quand elle persiste à se dérober.
Jubilatoire.
Gallimard – 144 pages
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(Photo de couverture de l’article © Francesca Mantovani – Gallimard)
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