Permaculture: Peut-on être contre? #60
Il est évidemment kamikaze de poser la question! Qui serait assez inconscient, égoïste ou pollueur pour dire tout haut du mal de la permaculture?
Ont-ils conscience que leur méli-mélo énergético-transcendantal dessert la crédibilité technique de ce qu’ils promeuvent?
Les racines du mal
Bien que ce courant soit apparu dans notre paysage avec la fulgurance louche d’un candidat de téléréalité, il existe depuis les années 70. Fondé en Australie, il découle probablement des mêmes questionnements contre l’agriculture intensive des résistants du Larzac et des hippies de Woodstock. La « Permanent Culture » ne prône pas que des pratiques agricoles. Elle propose d’organiser notre quotidien autour d’un équilibre bienveillant et durable. Elle suggère une nouvelle manière d’appréhender la vie, avec des principes qui se répercutent sur l’habitat, la gestion du temps, l’autonomie, la citoyenneté et la cohérence locale. C’est un courant de pensée global.
Mais alors, pourquoi les seuls permaculteurs qu’on entend et voit arborent-ils un look made in ZAD? Est-on obligé de revêtir cet uniforme et vivre dans une ferme collective en forme de mandala pour cultiver des produits de qualité?
Revendiquer une identité si noyée dans le cliché, totalement dénuée de singularité, permet-il de mieux œuvrer à une agriculture d’avenir?
Le conformisme de la posture me semble suspect.
Alter ego ?
Le courant altermondialiste pourrait bien être à l’origine de ce déguisement qui est devenu bêtement mondialisé: dreadlocks avec coquillage intégré, tempes rasées, sarouel, torse nu, chien sans laisse (= libre), et piercing au milieu du front.
Suis-je une atroce bourgeoise de trouver cette dégaine inesthétique au point de me couper l’envie d’acheter un savon artisanal sur un marché au terroir? Est-ce « réac » de penser que faire un effort de présentation et s’afficher de manière sobre est un acte respectueux quand on fait de la vente de produits alimentaires?
Ma saturation de ces personnages vient probablement du fait que j’habite dans une zone propice au maraîchage, qui attire nombre de projets de fermes alternatives. Ceux-ci ne sont pas portés par la capacité à produire et vendre des légumes, mais par des « projets de vie » mêlant écohabitat, autonomie énergétique, agriculture plurielle, réinvention d’un modèle social, pédagogie et ouverture, reconquête de terres polluées, etc… Ils sont dynamiques passionnants et nécessaires, mais prennent à peu près chacun une vie à mener! Prétendre tout révolutionner en peu de temps, en se mettant directement à dos les agriculteurs du coin qui bossent humblement depuis douze générations, et les notables locaux tout en les considérant comme des vieux nantis du système et en misant sur les aides sociales, n’est pas a priori la bonne recette pour faire aboutir un projet révolutionnaire.
Je me demande même dans quelle mesure le discours assertif sur la facilité permacole n’envoie pas dans le mur des jeunes gens qui n’avaient pas appréhendé la rigueur de la culture légumière, et réagissent en se radicalisant davantage « contre le système ».
Quand je reçois des demandes d’accueil de stagiaires, « wwoofers » ou inconnus, souhaitant devenir agriculteurs en une semaine, je discerne désormais vite les profils creux. S’ils évoquent leur quête de sens ou leur année sabbatique pour se nourrir spirituellement, ça commence mal. S’ils vérifient que j’ai des des toilettes sèches, ça prend une mauvaise tournure. S’ils précisent qu’ils peuvent dormir dans un coin du salon car ils voyagent avec leur matelas, ça sent le roussi. S’ils déplorent que je n’ai pas de poule pour valoriser les déchets organiques, c’est franchement cuit. Et quand ils me donnent, dès la première conversation téléphonique, des conseils en élevage de race ancienne, en nutrition animale, en broyage d’ortie et en préparation biodynamique, c’est qu’il est temps de les aiguiller vers un lycée agricole et de raccrocher vite fait.
Parce que tout de même, cela ne fait pas si longtemps que j’ai suivi une formation agricole bio. C’était il y a 9 ans. On parlait de « maraîchage », mot quasiment obsolète! Nous apprenions également les rotations de culture, les plantes complémentaires et la préservation des insectes auxiliaires. C’est juste qu’on semait en ligne et pas en forme d’escargot, et que l’installation du hamac n’entrait pas dans le calendrier cultural.
Mais la tendance permacole a tout balayé, renforçant cette pensée unique: produire des légumes à échelle professionnelle ne nécessite aucune compétence en agronomie, droit rural, technicité du sol, normes alimentaires, etc. Les gars, réalisez-vous qu’il y a un ravin entre cultiver un potager familial free style et produire suffisamment pour dégager une marge financière? Et mon discours n’est pas productiviste, juste aussi réaliste que mon envie de rester agricultrice malgré la faiblesse de mes revenus.
Le monde de l’indépendance agricole n’a rien de libéral, c’est une jungle incompréhensiblement normée, faite de règlementations qui se superposent en fuyant le bon sens, d’intimidations, de menaces sous-jacentes, et même d’autorisations à la carte selon le demandeur. Être révolté contre ces absurdités ce n’est rien de moins que nécessaire! Comme le fait de vouloir le faire évoluer, renouveler les profils agricoles et réinventer la place de l’agriculture dans la société. Mais s’y opposer par un repli culturel et une allure perçue comme irrespectueuse par l’ensemble d’un village, c’est contre-productif.
Je sais à quel point le sens du compromis semble peu exaltant, et à quel point la proposition « ni gauche ni droite » n’est pas la plus crédible en ce moment! Mais pour autant, les oppositions tranchées finissent immanquablement par profiter au plus gros.
La révolution agricole sera possible… en maîtrisant les codes ennemis plutôt qu’en les contestant frontalement; en la faisant évoluer de l’intérieur. C’est-à-dire en s’immisçant dans des commissions, dans la vie municipale ou syndicale, en construisant des projets locaux d’intérêt réellement collectifs (pas juste militants selon notre conviction).
Cette implication sociale ne serait-elle pas une concrétisation plus efficace de la permaculture qu’un mandala de basilic et d’aneth dans le jardin?
♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter « On va déguster« : (ré)écouter (6 mai).
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