Butineurs, querelleurs, « premier degré » et jusqu’au-boutistes… sont les termes qui caractérisent les béliers en période de rut! Petit précis de ce très sérieux métier de reproducteur.
La manière dont ces moutons vont s’accoupler (quand, où, avec qui) constitue la première prise de décision d’un berger concernant l’orientation de son élevage.
Si les brebis passent toute leur carrière dans le même troupeau, les béliers assurent des tournantes d’une ferme à l’autre afin d’amener de la diversité génétique. L’été est l’occasion d’en acheter de nouveaux, de se rincer l’œil sur les chippendales des foires agricoles, de les négocier… ou de les échanger!
Dans la race que je défends, le Mouton Avranchin, la plupart des éleveurs ne possèdent qu’un très petit nombre de brebis. L’acquisition d’un nouveau bélier chaque année constitue une dépense importante, que nous avons résolue en les incitant à les « échanger« . Pour donner un cadre à ce libertinage, nous avons rédigé un « Guide de l’Echangisme« . Y sont répertoriées les pratiques possibles: prêt ou location d’un bélier à la semaine, mutualisation entre plusieurs éleveurs avec un calendrier de saillie, échanges temporaires,… Toutes les recettes sont possibles et gagnent à être réinventées, notamment par les non-agriculteurs.
Après tout, pourquoi le modèle agricole de ces dernières décennies, élaboré et imposé par une poignée d’éleveurs en France, aurait-il l’hégémonie pour réguler ce patrimoine collectif qu’est la diversité animale?
Notre « Guide de l’Echangisme » rappelle également les règles obligatoires (boucles d’oreille électronique, vaccin quand on voyage) et quelques conseils pour éviter les conflits: comment gérer la mort d’un bélier prêté? Qui transporte le fougueux mâle dans sa voiture? Pire: s’il était stérile ou peu inspiré par son nouveau harem?
Il faut bien avouer que l’animal est réduit au rôle d’objet sexuel, véritable réservoir de semence sur pattes, dont le planning de prestations laisse peu de place à la séduction. Lui-même ne ménage pas ses efforts, puisque la proximité de brebis en chaleur le met en émoi. Emoi qui s’exprime par l’allongement du cou et le retroussement des lèvres dans une caricature d’Aldo Maccione, et guidera frénétiquement ses narines palpitantes dans les courbes de chaque femelle pubère, en quête de l’odeur musquée adéquate. En cas de feu vert, la brebis s’arc-boutera légèrement pour uriner – démonstration au potentiel érotique équivalant à un strip-tease. Le temps pour le bélier de rassembler son équilibre dans ses pattes arrières et de se dresser pour s’agripper aux reins de sa galante, qu’il tambourinera avec adoration… pendant quatre secondes. Avant de retomber lourdement sur ses quatre membres, satisfait de cette mission menée avec une telle efficacité qu’il ne s’est pas fait dévorer par un loup ou un lion.
N’oublions pas que comme tous les herbivores, le mouton est une proie dans la chaîne alimentaire. Il a appris à réaliser de manière supersonique les actes du quotidien: copuler, accoucher, allaiter, faire ses besoins,… Ses positions lors de ces moments de concentration doivent lui permettre de prendre la poudre d’escampette au moindre danger.
Alors un acte d’amour rondement mené, sans se faire croquer les fesses par un renard ni choir bêtement sur le dos, peut être considéré comme une réussite technique!
L’accomplissement de cette prestation est souvent suivi par sa répétition, sur la même brebis, par les autres béliers, alertés par ce feu vert qu’ils considèrent comme collectif. La bien-aimée atteint-elle la pamoison? Si ruminer placidement les yeux dans le vague est un indice de libido comblée, alors oui.
On considère qu’un bélier peut, sans prendre un coup de vieux prématuré, assurer les saillies d’une trentaine de brebis par an. Après 4 ou 5 années de bons et loyaux services dans de grands troupeaux, ils vivent en général une retraite paisible dans un petit troupeau familial, sans subir de concurrence jeuniste.
Car le pire ennemi du vieux bélier est… le jeune bélier. La cohabitation est inévitable car les éleveurs préparent chaque année la relève générationnelle, en accueillant un jeune fringuant au détriment de l’ancêtre en perte d’ardeur. Le jeune bélier a non seulement les hormones en ébullition, mais sa souplesse et sa réactivité lui permettent de se faufiler avant le patriarche, d’esquiver les coups de tête punitifs, voire même de bondir au-dessus des clôtures pour aller répandre semence et amour dans d’autres prairies… Ils accumulent les provocations à l’encontre du vieux beau, qui le défie à coups de boule. Mais visant moins bien à cause de sa lourdeur, il reçoit souvent lui-même le coup fatal qui lui fend le crâne.
Leur mission s’achève définitivement à Noël avec les naissances des agneaux, auxquels vont se dédier les brebis. Les séducteurs entament une longue période de chômage technique. La notion de parentalité ne les émouvra pas particulièrement. Au mieux tenteront-ils de humer quelques fessiers en bergerie (ce n’est pas la bonne saison, mais peut-être, sur un malentendu?). Ils se regrouperont surtout entre collègues masculins pour hiverner, désormais ouverts à la camaraderie, afin de reprendre des forces… pour mieux se battre l’été suivant!
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