Normandie et mal de dos: Changements d’horizon pour le semi nomade #156
Un peu surpris, Marco s’est réveillé de son opération chirurgicale, et, se retrouvant mis à pied pour quelques semaines, musarde sur le nomadisme
Je me demandais l’autre jour, en sortant du Sahara, si nous étions vraiment des nomades, et non pas plutôt une nouvelle sorte de caravaniers, mais les caravaniers suivent toujours les mêmes routes – ce qui n’est vraiment pas notre cas. On peut aussi objecter que les nomades n’ont pas de points d’attache, or nous avons posé, ici et là, des meubles, des malles, des livres, avec le projet – fort vague il est vrai – de venir reprendre un jour les souvenirs qui s’y attachent.
A Alger, j’avais lu dans un livre d’ethnographie algérienne une discussion sur les ksars – ces petites forteresses bâties il y a une dizaine de siècles dans le désert – et le rôle qu’ils avaient pu jouer. Une hypothèse est qu’ils avaient pu servir de réserve à des tribus nomades qui, à force nécessairement d’y revenir, étaient devenues progressivement à demi sédentaires. Alors peut-être sommes-nous aussi dans un processus fort lent de sédentarisation, suivant l’injonction d’amis que notre « péripatétie » déboussole un peu.
Depuis hier, notre horizon est normand. Nous sommes revenus dans un ksar qui s’abrite dans les boucles de la Seine, et par lequel je repasse régulièrement depuis des décennies, la ferme de mon frère. Un nomade et un fermier, c’est une alliance millénaire, l’un a besoin de l’autre pour vivre. Ou pour respirer. Ou panser ses plaies.
Je suis venu passer ici une convalescence post-opératoire, après une chirurgie qui devrait me permettre de marcher sans la canne sur laquelle, ces derniers mois, j’ai dû me résoudre à m’appuyer. Pour un nomade, c’est un peu la dernière extrémité. Ou en tout cas, c’était comme cela que j’avais fini par l’appréhender. Un chirurgien magicien semble m’avoir remis le pied à l’étrier.
J’ai donc l’œil, ces jours-ci, sur un horizon normand familier, que je revisite à petits pas, et toujours avec ma canne, ce qui me permet de contempler les jeux de la lumière dans les nuages, de sonder toutes les nuances de vert et de gris du paysage, et d’effleurer les silhouettes frêles d’arbres encore nus en raison du printemps tardif. Ce pourrait être un tableau de Corot, dont la mélancolie s’accordait à la mienne quand je vivais sous ces climats gris.
Jan van Eyck, Corot, De Chirico … Je nomadise dans un monde en reflet d’un vaste Musée Imaginaire*, musée que j’ai monté de toutes pièces en flânant sur le net au fil des ans. L’univers onirique de Giorgio De Chirico, je l’ai retrouvé à Ghardaia; de la Californie, c’est le lyrisme de Richard Diebenkorn que je retiens; mon album souvenir de Venise, ce sont des toiles de Canaletto. Et toutes ces œuvres défilent jour après jour sur mes fonds d’écran, nostalgie platonicienne des paysages de pierre, d’arbres et de monuments où mon corps se promène.
* « Le Musée Imaginaire » est un essai d’André Malraux, d’abord édité en 1947 puis une seconde fois comme première partie des « voix du silence », en 1951
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