Marco & Paula : Carnets d’ailleurs #17: Marco et la vie de château
Au petit bonheur des contrats de consultance internationale, Marco, expert patenté en pays déglingués, découvre les charmes de celle qui fut, il y a trop longtemps, la perle de l’Océan Indien.
Mais comme d’habitude dans notre monde hyper-médiatisé dont les raccourcis tissent la trame, la réalité est plus triviale.
Coté image, donc. En arrivant à Mogadiscio la première chose qui me surprit fut le poids de la portière du SUV dans lequel je montais. Rien ne distingue à priori un SUV blindé d’un autre plus civil, sinon le poids des portières. Deuxième surprise : le gilet pare-balles posé à coté du siège. Puis, en sortant de l’aéroport un pick-up débordant d’hommes en armes – notre escorte – se mit à nous suivre, et alors que notre convoi fonçait sur la route ma tête se mit à faire du cinéma.
Arrivé au fort, je fus pris en charge par l’hôte de ces lieux, un ancien militaire australien un peu bourru. Après m’avoir fait le briefing sur les consignes de sécurité – en cas d’attaque, monter sur le toit ou se réfugier dans la salle sécurisée qui sert d’ordinaire de salle de commandement – il me montra ma chambre. Tiens, encore un gilet pare-balles. Et un casque.
L’endroit paraît quasi imprenable, sauf à s’y attaquer avec un tank ou un camion bourré d’explosifs, puis réussir à passer le premier périmètre de sécurité sous les balles croisées des gardes installés sur les tours de guet, puis faire une brèche dans la deuxième enceinte de protection, et enfin se lancer à l’assaut de la villa cadenassée derrière ses portes grillagées. Une autre solution, ce serait de balancer un missile, mais plus question alors de prendre en otage les infidèles cloîtrés là, ce qui est tout de même le but du jeu.
Voilà pour le côté carte postale somalienne, avec l’occasionnel tir de mitraillettes ou l’explosion d’un islamiste.
Côté vie réelle, c’est plus paisible : Je passe la journée assis à la petite table de travail installée dans un coin de la chambre, à pêcher sur la toile des documents en rapport avec ma mission, en attendant l’apparition aléatoire d’un interlocuteur somalien. La vie est rythmée par les repas ; trois fois par jour, je descends au mess – trois tables en U où nous ne sommes souvent qu’une petite poignée : les trois responsables du fort, deux consultants basés là d’une manière presque permanente, des visiteurs plus ou moins occasionnels et, un mécanicien kényan qui, le soir, est accompagné par le cuistot. La télé, généralement branchée sur la BBC ou Al Jeyzira, nous fait la conversation. Passé l’intermède du repas, chacun repart à ses activités, et je réintègre ma cellule.
A 17h30, avant que le soleil ne se couche, je descends déambuler dans la petite cour – histoire de passer un peu de temps dehors. Après quelques semaines, les consignes de sécurité changent, et je suis autorisé à déambuler dans le premier périmètre de sécurité – un rectangle de sable long de 150 mètres dans lequel je croise les gardes somaliens entre deux rotations. Pas suffisant vraiment pour m’ôter l’impression d’être emprisonné.
Le grand moment de liberté, c’est le vendredi – le jour férié local. Par souci de sauvegarder la santé mentale des clients bouclés là, le management du fort emmène ceux qui le souhaitent – en général nous ne sommes que deux, parfois trois – s’aérer sur le chemin balayé par le vent qui longe d’un coté la piste de l’aéroport et de l’autre l’Océan Indien. C’est une expédition ; il faut quitter le fort avec la voiture blindée de cinq tonnes accompagné de l’escorte en pick-up, rouler trois minutes puis passer deux postes de contrôle tenus par les forces de l’Union Africaine, ce qui parfois prend cinq minutes, parfois vingt-cinq minutes. Au retour, on peut s’arrêter au bar de la zone internationale et acheter de la bière, à cinq dollars la canette. Quelle ivresse !
Un jour, deux officiels du ministère sont venus me rendre visite. Après les avoir accueillis au poste de garde puis conduits à travers les enceintes de sécurité, alors que nous montions l’escalier grillagé pour aller à la salle de conférence, l’un deux a soufflé : “On se croirait à Guantanamo Bay”. Peut-être, sauf que je n’étais pas affublé d’une combinaison orange.
Le jour de mon départ, le chef de la sécurité, un suédois cordial, dit en me serrant la main : “J’espère que tu reviendras bientôt”. Qui sait ? Il faut dire qu’on dort fort bien dans cet endroit.
(à suivre ?)
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