Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #83: tout par hasard et.. Syssi Mananga
Marco a retrouvé sa Paula, et tous les deux ont retrouvé les nuit d’Abidjan qu’hantent des félins métis.
Samedi soir, nous sommes allés à un concert à l’Institut français d’Abidjan, un peu par désoeuvrement et beaucoup par hasard; le hasard qui vous fait ouvrir un programme de spectacles qui traîne sur votre bureau, couplé à un autre hasard, celui d’être allé écouter un autre samedi le concert d’un saxophoniste sur la suggestion, envoyée par chance par une sœur qui, à la frontière suisse -autre hasard?- en savait plus sur la vie musicale abidjanaise que les afficionados locaux, et, dernier hasard, d’y avoir ramassé le programme des festivités de l’Institut et de ne pas l’avoir, par insouciance, balancé dans la poubelle. Donc, par hasard ce samedi, nous sommes allés écouter un concert de Syssi Mananga. Ne cherchez pas: sauf hasard absolument extraordinaire –le hasard du cygne noir– vous ne pouvez pas la connnaître.
Rideau: sur scéne une féline avec un sourire lumineux qui vous capture, même vue de loin et dans la pénombre, et avec, en crête sur la tête, une coiffure inspirée à la fois par les coupes afro des années 70 et celles des fashionistas des catwalks new yorkais de l’an prochain.
La féline chante avec aplomb, avec une voix qui prend possession de tout ce qui l’entoure, vous, vous et les amis assis avec vous, vous dans cette salle de spectacle mal remplie, vous dans ce quartier administratif vide et plus loin, la ville, la lagune. Elle chante le deuil, la guerre, les pulsations de la vie, l’Afrique. Ce qu’elle chante n’est pas commun. Sa musique est métisse; elle emprunte des styles, les dé-tresse, puis les retresse, peut-être pour ne pas se laisser prendre à leurs pièges. Où va-t-elle, ainsi? Où nous emmème-t-elle ? Que nous chante-t’elle là ? Ne pas savoir y répondre, c’est s’avouer envoûtés par ses sortilèges…
Syssi Mananga tisse les métissages : père belge, mère congolaise; enfance européenne, détour américain, puis, après 20 ans d’absence, retour à Brazzaville. Elle est noire en Europe, elle est blanche en Afrique, elle a trouvé ses sources africaines dans le fleuve Congo. Sur scène elle chante l’Afrique sur des impressions d’Amérique, mélange le lingala et l’américain, le français et l’espagnol, le soul, le jazz et le kombo. Pour le vieux nomade blanc subjugué dans son fauteuil, il sort de ce kaleidoscope des images oubliées, des sensations effacées: loin des machineries musicales modernes, protégée du pop business par la distance, cette féline-là semble avoir bondi d’une scène de la fin des années soixante. Un chorus line, un saxo, deux guitaristes, un batteur, un organiste et une voix puisée dans les entrailles, on croit entendre un avatar ou une petite soeur d’Aretha Franklin quand elle chantait en 1967 RESPECT.
Nomade musicale, Syssi s’est prise au jeu du jazz –un peu par hasard, attrapée par une petite annonce à Bologne où elle étudiait le droit. Puis Washington, où, toujours étudiante, elle chante le jazz dans les clubs locaux. Vient en 2013 un premier album –Retour aux sources- produit à Brazzaville avec un groupe de musiciens congolais, qui, à l’occasion d’un festival, ont confirmé la hantise des services culturels des ambassades et pris la route de l’émigration -« ils ont fui”, lâche celle qui a fait le chemin inverse. Puis, pas de côté dans l’émigration, elle travaille maintenant avec les musiciens qui font les nuits d’Abidjan, métissant encore un peu plus sa musique avec le r’n’b’ ivoirien, avec la musique mandingue, avec les rythmes du Cap Vert. Métissage à suivre.
C’était un soir à Abidjan. Un soir nomade.
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