Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #108: « T’as pas 100 balles?*

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C’est une scène qui se répète. Et se répète. Et … Paula fouille désespérément ses poches. Impossible de trouver la fichue pièce de 100 F qui permettrait de remercier pour le petit service rendu par le « gareur » de voitures, le vigile qui porte le sac de courses, petits services qui sont souvent leur seul gagne-pain.

La monnaie ivoirienne est le franc CFA

En 1945, lorsque cette monnaie fut créée, l’acronyme CFA désignait les Colonies Françaises d’Afrique. Elle était alors émise par la caisse centrale de la France d’outre-mer et après avoir ratifié les accords de Bretton Woods* la France avait déclaré la parité de cette monnaie avec le franc de la métropole. Le sigle CFA n’a plus le même signifié aujourd’hui, on s’en douterait – et désigne désormais la Communauté Financière d’Afrique. Les convertisseurs de devises lui préfèrent les trois lettres XOF, pour des raisons de clarification disent-ils. Tout cela est fort savant mais ne résout pas mon problème:

Où trouve t-on ces fichues pièces de 100 F?

Vendredi, j’ai acheté du pain dans une boulangerie du Plateau. C’est plutôt un dépôt installé à l’entrée d’un petit supermarché. On y vend principalement du pain local et une ou deux pièces de pain plus sophistiqué. La baguette locale est très « aérienne », et on pourrait dire qu’en manger ou pas, c’est la même chose, et donc nous consommons du pain confectionné à partir de farines plus nutritives. Évidemment, c’est plus cher, mais le pain est pour nous ce que le foufou (purée de bananes bouillies à l’huile de palme) est à l’Ivoirien: un aliment basique.

 

Mon pain coute 750F CFA, et me voici donc à tendre un billet de 1000F CFA au caissier. Il me propose immédiatement un pain au chocolat à 250F CFA, en m’expliquant qu’il n’a pas de monnaie. Manque de pot, je n’aime ni les pains au chocolat ni qu’on me pousse à la consommation, aussi je décline poliment son offre. Le caissier est plus contrarié par mon refus que par sa pénurie de pièces de monnaies, alors même que son produit phare – la baguette aérienne – coute 100F. Les autres clients s’impatientent et un monsieur avec beaucoup d’à propos, et d’opportunisme, me propose de… manger le pain au chocolat. Finalement, le caissier me tend une pièce de 100F et un avoir de 150F scribouillé sur le ticket de caisse, en me précisant qu’il est est valable 3 mois. Clairement, je suis l’orchidoclaste de cette scénette.

 

Dans la librairie où j’achète en suivant des cigarettes et un livre, la caissière me rend la monnaie en ouvrant un rouleaux de pièces. Donc elles existent !

 

Ces 100 FCFA valent 15 centimes d’euros. Notre amie Judith, qui vit loin du centre ville, me dit en trouver facilement car dans son quartier cette monnaie circule dans les marchés, dans les taxis collectifs et dans une foultitude de transactions. Elle est rare dans le quartier d’affaires comme celui du Plateau et même si les « djôsseurs de Nama », les gardiens de parking renommés de la place se font payer 100F CFA, il est clair qu’ils ne les dépensent pas localement. C’est un peu comme pour les Vélib. Si aucun système n’est en place pour les redéployer, ils s’agglutinent dans certaines places et en désertent d’autres. 

 

De façon général, les pièces et petites coupures font défaut dans notre approvisionnement monétaire. Les distributeurs automatiques de banque ne distribuent que des billets de 10.000 FCFA, soit 15 euros. C’est la plus grosse coupure disponible; elle est trop forte pour les achats du quotidien, et bien trop faible pour payer notre loyer. Petite misère des expatriés qui pourraient bien se fendre d’un billet de 500 F (76 centimes d’euro) pour rétribuer les menus services qu’ils reçoivent. Soit! Je le fais souvent et sans rechigner, c’est une façon de redistribuer ma « richesse », mais je voudrais le faire sans y être contrainte. Encore un luxe, clairement!

 

*Les accords de Bretton Woods, signés par 44 pays le 22 juillet 1944, font du dollar le pivot de la nouvelle architecture économique et monétaire mondiale – rôle joué jusqu’alors par la livre sterling britannique. Ils créent aussi le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale.

 

Codicille :
 Dans les années 80, on pouvait répondre à l’apostrophe de Coluche « Eh Camarade, T’as pas cent balles? par le fameux “Tu veux pas 100 balles et 1 Mars?”
 
On imagine l’équivalent de 2017 : “Nan mais tu veux pas également 15 centimes d’euros, accompagnés d’une barre chocolatée dont je dois taire le nom sous peine de me faire attaquer pour publicité clandestine? De plus, avoir parlé de chocolat juste avant m’oblige à t’indiquer que tu ne dois pas manger trop gras, trop salé et trop sucré, et en profiter pour manger 5 fruits et légumes par jour. Et toc!” 
 

 

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