Jordanie, RAMDAM DU RAM’DAN À AMMAN: journal de bord d’une humanitaire #163
Le Ramadan impose ses rythmes (Journal de bord d’une humanitaire en Jordanie)
Jour J+5 … Le la du quotidien
Dans mon expérience les cinq heures de présence sans autre pause que les quelques minutes nécessaires à la prière de mi-journée, si on concentre les activités cognitives aux premières heures, peuvent être constructives. Justement une écrivaine, qui se dit activiste mais sans autre précision, démontrait récemment sur un site web de management que les américains, sur une journée de huit heures, n’étaient réellement efficaces que trois heures.
Je ne suis pas musulmane, ne jeûne pas, et d’ailleurs personne ne me le demande. Je dois juste ne pas boire, manger ou fumer dans l’espace public sous peine d’amende. Pour ne pas indisposer mes collègues, d’habitude, je m’isole pour manger et fumer, mais comme ce n’est pas pratique, j’attends le départ à quinze heures de l’équipe locale. Souvent, à ce moment-là, je n’ai plus faim et mes fins de journée connaissent des passages à vide remarquables. Alors, je grignote quelques dattes.
Et puis, mais c’est vrai aussi en dehors du Ramadan, je ne dois pas dévoiler mes épaules et je dois accepter d’être serrée sur le siège arrière de la voiture avec mes collègues femmes, car en aucun cas une Jordanienne n’acceptera de s’asseoir à côté d’un homme dans une voiture (et réciproquement). Comme nous sommes une équipe très féminine les trajets jusqu’aux sites des projets sont synonymes d’inconfort.
Jours J+6 … Indulgence
Notre récent séjour à Alger a fait remonter quelques mots d’arabe à la surface de la mare linguistique où sombrent immanquablement les langues que j’étudie ou les quelques mots que des collègues tentent de m’apprendre. Dans cette mare où dominent les mots d’anglais – qui est souvent ma langue de travail ou d’apprentissage – s’emmêlent et se déclinent aussi de l’allemand, de l’espagnol, de l’abidjanais, du pidgin et quelques brins de swahili rehaussés d’haoussa et de malgache, ainsi que de l’arabe, langue que j’ai étudiée pour le plaisir de sa calligraphie et de ses déclinaisons, en Algérie d’abord puis en Tunisie une douzaine d’années plus tard. Mais l’arabe des médias que j’apprenais n’inspirait ni les Algériens ni les Tunisiens, et je n’ai pas eu l’occasion de le pratiquer en conversant. Ici en revanche le peu d’arabe que je parle a l’accent maghrébin et on me regarde avec étonnement, mais parfois, la formule sonne juste et je reçois un grand sourire.
Jour J+8 … Allez-y!
Le week-end a été sage et relativement confiné plus par flemme que par nécessité. Mais ce soir, je veux boire une bière et mes collègues expatriés me concoctent un joli programme. Vers 18h30, nous partons pour une longue déambulation qui nous amène une heure plus tard en centre-ville au moment du F’tour (la rupture du jeûne). L’atmosphère est très plaisante: joyeuse et tranquille. Aux terrasses bondées, les gens sont attablés en couple, en famille ou entre amis, avec sur leur table quelques dattes et des assiettes sous aluminium. Chacun attend le raclement de gorge du muezzin, annonciateur de l’appel qui lèvera l’interdit. En Algérie, où le jeûne se rompt en buvant la chorba (une soupe de légume et céréales), j’imaginais toujours des millions d’Algériens plongeant leurs cuillères à l’unisson.
Le muezzin a chanté, mais nous, nous sommes toujours en train de flâner et au détour d’une rue, je découvre le théâtre antique d’Amman. Au crépuscule, le site est fermé, la place qui le prolonge est vide, et l’esprit peut voyager allègrement. Je suis sous le charme mais j’ai aussi soif et faim. Mes compagnons m’emmènent au cinquième étage d’un restaurant sur une terrasse aux chaises en plastique bancales, aux toiles cirées un peu crasseuses mais où très rapidement on me sert une bière que je déguste avec le théâtre à mes pieds.
Jour J+10 … Boucan
Le mot ramdam en français (comme dans l’expression « faire tout un ramdam ») vient du fait que l’aspect le plus caractéristique du ramadan, aux yeux de nombreux non-musulmans, est l’intense et bruyante activité nocturne qui suit les journées de jeûne durant ce mois. Mais ici, à Amman, impossible de trouver une programmation festive digne du ramadan comme j’en ai connue en d’autres lieux, pas de concerts ou de projections en plein air. J’en suis réduit à me demander où vont tous ces gens qui circulent tard dans la soirée. Et chaque soir mes voisins du dessus semblent jouer à réarranger leur mobilier. Ils font un de ces ramdam!
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