Changement de rythmes en Normandie: Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #158
Voilà donc Marco soudain encalminé dans la campagne normande – il constate que non seulement les horizons ont changé, mais les rythmes aussi. A son insu, pour ainsi dire.
La valeur du nombre des années …
Cela fait sourire certains et certaines autour de moi: ces temps-ci je passe le plus clair de mes journées allongé sur le dos, dans un lit ou sur un canapé, à attendre que mon rachis se remette des triturations chirurgicales qu’il a fallu lui imposer en raison des ravages de l’âge ainsi que des malédictions génétiques usuelles. C’est curieux, mais dans le langage, l’âge semble être principalement un phénomène qui laisse sa marque sur les vieux, et non pas sur les bambins sortant de la maternelle.
Bref, me voilà au vert, à attendre que le temps fasse son œuvre. Ayant passé une bonne partie de ma vie à courir de droite et de gauche – pareil à un poulet décapité, comme l’on dit aux States – le changement de vitesse est un peu chaotique. Ma fille a remarqué, avec un sourire que j’ai cru un peu ironique, que j’allais finalement devoir prendre des vacances. A tout le moins, je suis vacant.
Sur ma presqu’île normande entre les boucles de la Seine, j’ai donc pu voir le printemps déferler sur la campagne environnante, des arbres nus se vêtir précipitamment de feuilles et de fleurs, et le cerfeuil sauvage sur le chemin m’arriver à la taille sans crier gare. Quand l’on revient des tropiques, le bouleversement est saisissant – en Afrique de l’Ouest et Centrale, même si tout pousse très vite, rien ne semble vraiment changer – il fait toujours plus ou moins chaud, la végétation est toujours luxuriante, il y a toujours des fleurs, les arbres sont quasiment toujours en feuilles, et seule la violence des pluies rythme le temps qui passe.
Toi, toi, mon corps …
La ferme maraîchère que mon frère a lentement établie de ses mains, j’y reviens irrégulièrement depuis trente-cinq ans, moins comme un oiseau migrateur que comme un nomade fondant sur l’oasis pour un rezzou occasionnel. Dans cette enclave, on peut voir et même sentir, dans les arbres, les champs, les serres ou les chemins, la marque d’un long et patient travail, l’empreinte obstinée, rituelle et inexorablement régulière d’un temps long et monotone. Ce n’est pas le temps que je fréquente – le mien est fantasque et imprévisible, court et hâtif, et laisse finalement peu de traces.
Bien évidemment, je rêve – et peut-être rêvons nous tous – de maîtriser et canaliser le temps, de le soumettre à nos désirs et nos impatiences. Parfois, on se leurre à croire que l’on y parvient – les objectifs sont atteints, les dates butoirs sont respectées, notre action s’inscrit dans le temps qui lui a été assigné. Belle illusion. Après être passé sur le billard, j’ai bien sûr lancé mon imagination sur la piste de la convalescence, pour vite me rendre compte que personne à l’hôpital ne voulait jouer à mon jeu. L’infirmière qui vient refaire mon pansement m’a donné la clé – elle m’a expliqué qu’il était impossible de prédire la courbe de la guérison.
Tout cela m’a énervé. J’avais anticipé – non, prévu – qu’au bout de trois jours je me serai débarrassé de ma canne, qu’en quinze jours je serai quasiment sur pied, et que dans deux mois ou presque je remonterai à cheval. Cela va faire trois semaines que j’ai été opéré et il y a trois jours j’ai commencé à ressentir une sorte de vivacité dans les pieds. Enfin! Et puis aujourd’hui, sur le chemin maintenant envahi par les orties et le cerfeuil sauvage, j’ai senti mon pas s’affermir. De l’imprévu! Mon corps a décidé d’avancer à son rythme, à me faire des petites, toutes petites surprises au détour des jours, et de ne rien me laisser deviner de ce à quoi la suite pourrait bien ressembler. Mon corps prend son temps. Qu’y puis-je? Il vit à son rythme.
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