Ainsi donc, la rubrique défroquée d’un musicien! Comme une bulle de champagne, un moment d’improvisation, un lâcher à peine contrôlé. C’est une série qui parle de musiques et de musiciens. « Musicàlier » fait résonner, dans tous les sens du mot et va voir ce qui se cache derrière les notes et les soupirs. Jamais totalement sérieuse: manquerait plus que ça!
Souvenirs en noir et blanc.
Vingt jeunes musiciens, cinq places seulement, l’ambiance de cette matinée était électrique. Les regards s’évitaient. Chacun de son côté, comme des coqs fiers de leur plumage, nous avions travaillé des pièces sensées mettre en valeur notre habilité et plus que tout, notre virtuosité. Nous partagions la certitude que, plus le morceau choisi était techniquement difficile, plus le maître serait enclin à nous accepter dans son cours prestigieux. C’était la logique de nos vingt ans. Nous avions tous adopté cette certitude comme un calcul stratégique. J’avais choisi une transcription d’un caprice de Paganini qui m’avait résisté jusqu’au dernier moment tant les pièges qu’il proposait étaient pour moi presque insurmontables. Mais ce matin-là, après des centaines d’heures de bachotage j’étais secrètement sûr d’être prêt.
– Que voudrais-tu nous jouer?
– J’ai préparé une pièce de Stravinsky extraite des trois…
– Ah ?!? Très bien coupa l’illustre professeur. C’est une œuvre très difficile, je vois. Bravo. Mais je préférerai que tu me joues ça à la place, ajouta-t-il en plaçant une partition inconnu sur le pupitre.
Je crois me souvenir parfaitement de l’expression qui s’est dessinée sur le visage de cet élève au moment où il a découvert la partition que lui demandait d’interpréter le maitre. Un mélange de surprise et de légère humiliation.
– Vous me demandez de jouer ça ? Mais c’est un andante… un morceau pour débutant!
M.B. n’en demandait pas tant.
– Oui je sais. Y’a pas beaucoup de notes, et c’est très lent.
Tandis que nous avions, comme de dociles singes savants, préparé des prouesses de virtuosité, ce maître facétieux voulait nous sélectionner en nous faisant jouer non pas seulement des notes mais de la musique. Peu parmi nous faisaient alors la différence.
La séance fût désastreuse. « Ça ne chante pas! Suivant. »
J’avais pourtant si bien travaillé Paganini…
Je me souviens aujourd’hui d’une phrase du maître, drôle et cruelle.
Si tu mets un singe devant un piano pendant un milliard d’heures, il finira techniquement par jouer une fugue de Bach. C’est mathématique. Mais jamais au grand jamais, il ne fera une note de musique.
M.B.
M.B.
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