À bord du « Shakespeare » #33. Parce qu’il fallait bien qu’on en finisse
Peu ou prou sept mois. Sept mois sur les eaux tumultueuses de l’océan Indien. Sept mois sur « Shakespeare », un simple voilier devenu avec le temps une part importante de notre vie. Et pourtant, depuis l’aube, nos yeux ne cherchent qu’elle. La Réunion. Retour au port. Fin de cette partie là de l’histoire. Nous terminons probablement la partie la plus facile. Pour le reste ? On verra demain.
Ce fut fait dans d’excellentes conditions, d’autant que nous fêtions en même temps l’anniversaire du docteur et la visite impromptue d’une baleine. Inutile de chercher des signes, la chance était avec nous de ce côté là. Parce que nous avons été trahies ensuite pas nos fichiers météo qui, si nos demandes partaient, ne revenaient jamais. Les prévisions sont arrivées de Durban, envoyées par un ami poursuivant son tour du monde. La solidarité des marins n’est pas un leurre.
Le dernier fichier, nous l’avons reçu ce matin. Le dernier dans tous les sens du terme. Du cockpit nous voyons la Réunion. La fin du voyage. Le retour au port. La boucle est bouclée.
La route nous l’avons faite comme dans un rêve, vent constant, du 15 noeuds maximum, de travers, houle modérée à forte, un petit grain histoire de ne pas perdre l’habitude d’être mouillées, bonnes pêches pour remplir nos assiettes. Que demander de plus ?
Il y a beaucoup de rires ce matin, on se remémore les moments drôles, on s’amuse de tout, on organise les deux jours à venir: nettoyage, rinçage, stockage. Nous n’avons pas envie de quitter le bord maintenant. Pas tout de suite. Il faut un petit sas de décompression. Vingt-quatre heures.
Nous n’avons prévenu personne de notre arrivée. Cela peut sembler paradoxal, mais nous en avons parlé il y a déjà plusieurs semaines entre nous. Autant nous avons fait, sur le quai, deux fêtes de départ (dues aux reports), joyeuses, amicales, arrosées, autant nous ne voulons personne à notre retour. Pas âme qui vive sur le quai. Probablement pour rester encore quelques heures dans notre bulle, dans notre histoire. Et pourtant, nous avons ici certainement plus d’amis qu’ailleurs, qui nous ont suivies semaine après semaine. Ont partagé avec nous nos découvertes, nos attentes, nos joies, nos frustrations. Nous ont écrit, nous ont faire rire, ont raconté leur vie. C’était si bon d’avoir de leurs nouvelles, de savoir que là-bas, tout allait bien. De partager leurs inquiétudes quand la santé de l’un ou de l’autre était défaillante. De les sentir si près de nous.
Mais certains ont commencé à manifester leur impatience. Ils nous veulent de retour. Parce qu’il était temps? Peut-être l’inquiétude de nous voir décider de poursuivre l’histoire ?
Les sentiments à bord sont ambigus. Après sept mois de mer, de nouveaux amis inoubliables, des coups de mer, de gueule, de mou, des craintes, des fou-rires partagés, des soirées endiablées, des matins calmes, l’angoisse du silence des nôtres après les attentats à Paris. Après tout cela et bien plus encore, nous rentrons avec joie retrouver ceux que nous avons laissés derrière nous afin de leur raconter de vive voix toutes ces histoires et d’autres, les grandes et les petites.
Mais, après tout cela et bien plus encore, je me demande à quoi va maintenant ressembler ma vie. Parce que celle de demain ne sera pas celle d’hier et moins encore celle d’aujourd’hui. J’aimerais en savoir plus. Ou pas. Une part de mystère. C’est cela qui importe toujours. Des surprises. Parce que j’ai des valises à poser. A refaire. A défaire. A vider. A remplir. Un avenir à imaginer. Je m’en amuse encore, mais de petites pointes d’inquiétude s’immiscent parfois dans cette quiétude. En sortant ainsi plusieurs mois du « système« , on disparaît. Le temps nous dilue. C’était le risque. Etait-il si grand par rapport à ce que nous avons vécu? Non. Un chapitre entier à rajouter à la drôle d’histoire de ma vie, à raccrocher à ce qui nous attend, là, de l’autre côté du quai de plaisance.
Bienvenue à la maison.
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@desmotsdeminuit
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