Série. « Fargo »: les losers magnifiques envahissent le petit écran

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En 1996 sort dans les salles un film troublant qui passera à la postérité. Dans les plaines enneigées du Minnesota, deux malfrats, un mari stupide et velléitaire, une enquêtrice à l’air détachée, sont réunis par un enlèvement foireux à l’issue dramatique et inévitable. Rien ne prédisait que l’une des œuvres les plus emblématiques des frères Coen serait vouée à une réadaptation.

Ces dernières  années,  les  tendances des productions hollywoodiennes sont très  fructueuses du coté des remakes et des adaptations littéraires. La télévision américaine ne s’est pas privée de faire de la reproduction. Tentatives parfois réussies (Hannibal, Game of Thrones) quand d’autres restent encore à prouver (Psychose, Rosemary’s Baby). A travers l’apparition et la diffusion massive de produits culturels de type industriel, l’émergence de ces séries pose la question de l’originalité en tant qu’œuvre à part entière.
 
En avril dernier, la chaine télévisée américaine FX, se lance dans l’un de ses projets les plus ambitieux. Joel et Ethan Coen producteurs exécutifs, confient l’écriture  à Noah Hawley. Créateur de My Generation et de The Unusuals, l’auteur propose une  nouvelle histoire  de Fargo, en gardant l’essence de  l’univers absurde, dénué de logique et de morale des  frères Coen. A la hauteur de l’original, la série propose une œuvre fondamentalement cinématographique.
 
Noah Hawley privilégie une histoire solide où les protagonistes sont  propulsés  dans des événements dramatiques. La force réside dans la tendresse et l’ironie portées à l’écriture envers ces personnages cruellement réels.
 

 

 
« THIS IS A TRUE STORY « 
La série Fargo utilise les mêmes procédés scénaristiques que son original,  épinglant un carton en ouverture de chaque épisode « Ceci est une histoire vraie (…) A la demande des survivants, les noms ont été changés. Par respect pour les morts, le reste est décrit exactement comme ça s’est passé. » Dès les premières minutes, on nous donne la confirmation que nous ne nous sommes pas trompés de bouquin, la couverture ne nous aura donc pas dupés. Immersion réussie dans une  œuvre étrange où les genres se mélangent. Polar flirtant entre le drame et la comédie noire.
L’histoire prend pour point de départ un fait divers tragique qui se serait déroulé en 2006  dans l’Etat du Minessota. Lorne Malvo,  tueur à gages  aux allures diaboliques, va semer le  trouble dans la ville de Bemidji. Ayant le goût pour la manipulation, il va faire de nombreuses victimes, en emportant dans sa trajectoire un commercial en assurances Lester Nygaard.
 
 

 

 
« WHAT IF YOU’RE RIGHT AND THEY’RE WRONG « 
 
Fargo est une série chorale, où les personnages sont constamment en déplacement. Sous l’absence de repère spatial, ils ont en commun la survie face à leur environnement.
« Et si vous aviez raison et eux tort? “Résonne comme une  des paraboles de la série.  C’est dans le sous-sol de Lester Nygaard que se trouve cet énigmatique poster  au graphisme enfantin.
 
 » I didn’t do anything » 
 
Martin Freeman endosse la même petite tenue hivernale que William H. Macy (Fargo 1996) pour le rôle de Lester Nygaard . Anorak orange et casquette de chasse il est un mari castré, persécuté, victime depuis sa tendre enfance. Il émane un besoin de s’émanciper de sa vie médiocre. Il a l’étoffe d’un anti-héros des  frères Coen. Etant prêt à exploser à tout moment, il n’y a plus qu’à allumer la mèche.
 

 

”Could be worse”
 
Sous ces faux airs de Frances McDormand, Allison Tolman incarne l’enquêtrice Molly Solverson  à l’œil  vif et droite dans ces bottes, rien ne semble  pouvoir l’arrêter, afin de résoudre les crimes sordides. L’actrice apporte de la douceur à  son rôle qui  est loin d’être naïf. Mais elle est vite rattrapée par sa hiérarchie qui l’enlise dans une paralysie d’un commissariat où le mot d’ordre semble être « Moins on en fait mieux on se porte.”
 
 » his is highly irregular… « 
 
Une  coupe de cheveux avec une frange qui inspire l’innocence, pour quelqu’un qui n’est pas très catholique, Billy Bob Thornton est Lorne Malvo, personnage amoral, qui s’amuse à semer le trouble. Tel un prédateur il joue  à torturer ses proies, juste  comme ça… pour voir.  A la différence des autres protagonistes, il ne subit pas les situations il  les maitrise, disposant d’une vue d’ensemble.
 
”No, highly irregular’ is the time I found a human foot in the toaster oven.”
 
 
Par des dialogues ciselés et des personnages secondaires tout aussi travaillés,  Fargo s’offre un casting impeccable.

 
La frontière  entre le cinéma et la télévision n’est plus aussi nette qu’il y a quelques années. Fargo s’inscrit dans  les codes d’une œuvre cinématographique, par une mise en scène précise à l’esthétique exigeante.  La liberté qu’offre le format  de la série donne  le temps  aux auteurs d’approfondir la psychologie des personnages, et la catharsis s’en trouve renforcée. L’ambiance riche donne de l’amplitude à l’univers. Paysages hypnotiques confrontant les protagonistes à une nature hostile. La mise en scène efficace et son montage laisse place  à un rythme soutenu sans sacrifier des moments calmes. 

La chaine américaine FX n’est pas à sa première réussite dans la création de série singulière.
American Horror Story a permis  d’ouvrir  la voie à d’autre en proposant une nouvelle méthode de production. Chaque saison décrit une histoire dans son intégralité. Ainsi, True Dective (Produit par HBO), comme Fargo ont pu accéder à la liberté de s’offrir des acteurs de cinéma, cela entrainant l’allocation de budgets plus importants, et par conséquent une hausse de qualité de productions. En France, La série Les Revenants (Canal+) à fait une percée grâce à la production Haut et Court. Dans quelques  mois  débarquera sur Arte l’intrigante série ”Ptit Quinquin” de Bruno Dumont.
Cette nouvelle génération  de séries est bien décidée à enterrer Charles Ingalls, l’Inspecteur Barnaby et autres spectres ringards qui hantent encore nos téléviseurs depuis près d’un demi siècle.