« Jeune femme » de Léonor Serraille: beaux désordres intérieurs 🎬

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Jeune femme encore trop jeune et fille tourmentée, à moins que ce soit un nouveau monde qui entre en tourmente. Belle comédie sociale discrètement vinaigrée, animée par une formidable Laetitia Dosch.

 

Paula, une rousse aux yeux vairons, la trentaine immature et désormais brisée: elle vient de sa faire larguer par son compagnon, un photographe en vue dont elle a été l’égérie et a partagé la vie pendant 10 ans. Frappant à sa porte, il n’ouvre pas, elle y porte des coups de tête qui l’envoient, saignante, aux urgences. A l’interne qui la soigne, elle débite une logorrhée sans fin de paumée hystérique, confuse, racontant autant qu’inventant, notamment qu’elle revient d’un long séjour au Mexique. Le tout dans un numéro d’actrice (Laetitia Dosch) qui laisse sans souffle. Face à son état d’excitation, Paula est hospitalisée mais, rusée vaillante, elle s’enfuit rapidement. Commence une errance dans Paris, accompagnée d’un chat persan qui était celui du couple qu’elle a recueilli au pied de l’immeuble, comme un amant de substitution ou plutôt un doudou. Ça ne va pas être simple, sans argent, des amis qui n’en sont finalement pas, lâchée dépourvue, elle va devoir se débrouiller. Et dans le registre transformiste on lui découvre un vrai talent, ici l’hystérie douce s’adapte à tous les petits théâtres de la vie qu’elle tente d’apprivoiser. Sauf que comme elle fait beaucoup de bêtises, plus encore que la gamine dont, par exemple, elle va devenir la baby-sitter, elle continue à se cogner sur toutes ses velléités. Peut-être un chemin, une transition vers plus de sérénité, c’est tout ce que lui souhaite la fin du film.

La reine Dosch

Le portrait est excitant de cette jeune femme paumée, les nerfs à vif, le cœur et la solitude à fleur de peau. De ces paradoxes, de sa détresse joyeuse elle fait une dynamique, s’inventant à chaque rencontre une nouvelle personnalité, une nouvelle façon de tenter de plaire pour faire face, s’adapter, survivre. Le registre est la comédie et on rit franchement, sans culpabiliser, de ses maladresses, de ses mensonges, de sa mythomanie. C’est aussi le parti-pris du scénario, ses chagrins nous touchent tout autant, donc tout ce qu’il faut pour que le personnage emporte l’empathie.
De ce puzzle en forme de kaléidoscope des hasards qui font le personnage de Paula, Laetitia Dosch est la reine de cœur, le film n’existerait pas sans elle. On l’avait découverte dans « La bataille de Solférino » (Justine Triet – 2013) en jeune mère séparée et déjà un peu foutraque. Elle joue aussi au théâtre, Shakespeare aussi bien qu’en stand-up. C »est ici une furie autant qu’une victime, une diablesse autant qu’un ange. Aussi et d’abord une femme d’aujourd’hui, parmi celles qui sont dans la précarité psychologique ou matérielle, parfois les deux, dans un monde qui s’autoproclame « nouveau« , mais pour qui? Léonor Serraille, la réalisatrice, qui a aussi écrit le scenario de son premier long-métrage, réussit à capter toute les spontanéités et contradictions d’un personnage complexe dans une comédie vraiment sociale, vraiment réussie. Vraie cinéaste aussi, Serraille tourne autant à l’arrache de la vérité du plan-séquence que, quand elle repose son récit, dans des cadres joliment soignés à déguster.
Il faut dire combien, depuis quelque temps, ce sont souvent les jeunes femmes réalisatrices qui assurent la relève d’un cinéma français d’auteur, ouvert au grand public, qui s’était assoupi sur des certitudes paresseuses. Bon signe, « Jeune femme » a été primé de la Caméra d’Or, lors du Festival de Cannes 2017: elle couronne le premier long-métrage de toutes les sélections.

Jeune femme – Léonor SERRAILLE (France) – 1h37

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