La poésie peut-elle sauver un monde qui semble inéluctablement perdre ses repères dans l’abondance de propositions plus futiles et volatiles les unes que les autres? « L’institutrice » de l’israélien Nadav Lapid propose une réponse un rien désespérée. Dans un film qui est notre coup de cœur de cette rentrée cinoche.
Nira est institutrice de maternelle, le charme discret d’une belle quarantaine, mais étrange derrière ses yeux d’un bleu trop limpide qui interrogent d’emblée. Mariée à un ingénieur amoureux par habitude, deux grands enfants, l’une est encore au lycée, l’autre est un tout jeune officier de l’armée. Bref, pas grand chose à la maison. D’abord intriguée puis stupéfaite, l’institutrice découvre que Yoav, l’un de ses écoliers, tout juste 5 ans, invente des poèmes étourdissants. Le scénario est toujours le même: Yoav fait les cent pas puis annonce: « J’ai un poème! » qu’il déclame aussitôt dans sa diction enfantine, avec un cheveu sur la langue, c’est vrai que c’est très impressionnant. Les textes de l’enfant sont si puissants que Nira se les accapare au club de poésie qu’elle fréquente régulièrement. Elle ne fait rien d’autre que la nounou de Yoav, aspirante comédienne, qui récite les textes de son poussin lors de ses castings. Les choses vont se compliquer sérieusement quand le père de Yoav, un propriétaire très matérialiste de restaurants de luxe, découvre ces petits manèges. Il vire tout le monde et change Yoav d’école. Nira, l’idéaliste n’en restera pas là, quitte à se perdre, elle imagine un scénario sans retour, il faut sauver les poètes d’un monde sans âme.
Un film très fortement séduisant, tout autant que l’était « Le policier« , précédent opus de Nadav Lapid qui mettait en scène une prise d’otages de riches par des anarchistes scandalisés par la situation des plus pauvres en Israël. Au premier abord, on pourrait croire les films éloignés, pas du tout, l’un comme l’autre déclinent deux formes d’idéalisme qui débouchent sur l’acte sincère mais insensé, et finalement destructeur de soi. C’est bien ce qui arrive à Nira, belle femme calme, aimée et aisée, soudain fascinée, troublée, empoisonnée par le talent poétique d’un gamin. Son attraction pour Yoav est silencieuse mais totale, intellectuelle, sensuelle, presque sexuelle quand elle douche son protégé, elle la conduit à quelques compromissions, qui sont aussi de nouvelles attractions, tromper son mari, tenter de séduire une femme potentiellement décisive, l’institutrice sans histoires dérape, elle le sait, elle le veut, elle ne veut plus de son monde.
Formidable comme Nadav Lapid narre cette histoire qui pourrait être vraie, la forme est elle aussi poétique, déjouant la grammaire cinématographique, des plans séquences qui privilégient les gros plans comme pour entrer dans la tête de ses personnages. Dont on salue l’extraordinaire incarnation: Sarit Larry, fascinante Nira, et le petit Avi Shnaidman dont la prestation laisse pantois.
« L’institutrice » est aussi un engagement pour une autre façon de vivre ensemble, Lapid n’a-t-il pas été récemment conspué pour avoir, avec sept autres cinéastes, dénoncé les souffrances infligées au peuple gazaoui par l’armée de son pays.
La poésie contre la guerre?
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