Qui veut trouver un emploi soigne sa monture et sa mouture. Voici venu le temps du coaching des chômeurs. Apprendre à faire illusion pour espérer gagner juste un simple CDD. Mais c’est la courbe du chômage qui mériterait un bon coaching.
Ils ont autour de 20 ans, une formation plus que sommaire et cherchent du travail. Ceux-là vivent dans le Nord, on imagine le poids d’un environnement social et familial de précarité d’emploi endémique, sur leurs visages on lit comme une résignation, un découragement fondamental.
Quand depuis trop longtemps on ne parvient pas à inverser la courbe du chômage, on invente divers cataplasmes, par exemple cette trouvaille: offrir pendant 6 mois un coaching visant à se motiver à lire les petites annonces, rédiger un CV flatteur, préparer et simuler un entretien d’embauche. C’est gratuit, une société privée missionnée par l’État encaisse. Et s’ils sont assidus, les stagiaires reçoivent pendant la durée de la formation 300 euros par mois.
Après des mois de tournage, 4 candidats sont retenus au montage de ce documentaire édifiant autant que désespérant.
Lolita, 19 ans, elle n’est pas gâtée par la nature, boulotte butée, 2 piercings accrochés à la lèvre inférieure, jugeote mal dégrossie, de lourds secrets familiaux enkystés. Elle n’est pas habituée aux concessions (au collège, énervée par un camarade, elle lui avait planté un compas dans l’œil). « Ma principale qualité? La franchise! » dit-elle. En l’occurrence, dans un monde du travail où il faut se travestir pour espérer gagner, c’est son plus grand défaut. Sa totale sincérité confine ainsi à l’inadaptation au formatage.
Kevin, 21 ans, il a lâché l’école à 16 ans et a ensuite plus ou moins enchaîné stages et petits boulots notamment dans le bâtiment.
Hamid, 18 ans. A 14, il avait été recruté par l’école de formation des Girondins de Bordeaux mais, pour d’obscures raisons, il l’a plaquée deux ans plus tard. Il n’aime pas la hiérarchie et les contraintes, et on le sent potentiellement violent.
Thierry, 20 ans, belle gueule, belle sape, sportif, jusqu’à présent que de courtes missions en intérim.
Immersion
Les formateurs s’arment de patience, professionnellement compréhensifs mais fermes quand les rendez-vous ne sont pas tenus. Certains se contentent de réciter assez mécaniquement le contenu d’un corpus de formation appris par cœur, d’autres semblent plus affectivement, affectueusement, impliqués. Les principes qu’ils enseignent sont basiques, des évidences et du bon sens dont semblent dépourvus ces quatre-là dans le domaine de la recherche d’un travail. On apprend donc à se formater, à se dissimuler, à faire le beau. L’objectif est modeste en même temps qu’immense: un CDD décroché pour 6 mois, c’est rare et c’est une grande victoire…
L’immersion pendant 8 mois dans ce monde de très jeunes chômeurs très peu qualifiés (plus de 20% des jeunes sont sans emploi 3 ans après leur sortie du système scolaire) est éloquente tant l’inadaptation, voire l’inadéquation à un monde vorace de ces grands enfants semble totale, démotivés sans jamais avoir été motivés. Ils sont tout en bas de l’échelle des candidats à un emploi même parmi les plus simples. Il y aura toujours un autre postulant qui les devancera face à un recruteur (qui se fait son idée dans les 13 premières secondes d’un entretien): mieux habillé, plus volontaire, moins arrogant et, bien sûr, mieux formé.
Le mécanisme du film reprend celui de « Les arrivants » (2010) des mêmes réalisateurs, autre immersion documentaire, alors dans le monde de l’accueil des demandeurs d’asile: pas de commentaire, pas d’interviews, que la vérité des captations des échanges demandeurs/formateurs. On peut regretter qu’il soit ici trop centré sur les paroles de ces petits chômeurs de rien, on aurait apprécié d’en savoir plus sur l’éventuelle émotion de ceux qui les reçoivent.
Surtout, on s’interroge sur une société qui camoufle la difficulté de l’emploi en s’offrant des formateurs en comportements pour demandeurs d’emplois. Comme une absurdité, le coaching de chômeurs ne crée pas d’emplois. Sauf ceux de ces nouveaux coaches subventionnés.
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