DMDM #342: « Je suis construit de ce que j’exprime… » Michel Vaujour
Quand l’immensité d’une solitude humaine enfermée 17 ans se dit avec ces mots-là; quand des objets faits de sang et de déchets font fétiches et disent « le malaise occidental »; quand il s’agit par l’humour de traquer le préjugé raciste et stigmatisant; quand les personnages échappent à la romancière qui a fini par accepter d’en perdre le contrôle; quand Samira Brahmia chante la femme algérienne
Rédaction en chef : Rémy Roche
Production : Thérèse Lombard et Philippe Lefait
CONVERSATION:
Ce que j’ai gardé de ces années-là, c’est la loi de la transformation perpétuelle. S’enfermer dans ce qu’on a été est une prison qui nous sépare du présent. Le passé meurt. La vie se fait. On ne s’enferme dans rien…
(Long silence) Quand je me suis retrouvé dans ces conditions extrêmement dures où je ne pouvais plus m’évader, la prison était là. À ma solitude absolue de Quartier de Haute Sécurité, j’ajoutais mon silence. Je ne parlais pas et cette situation m’appelait à mourir. J’ai alors compris que ma seule chance était d’accepter la mort profondément. C’était ma seule arme: être un jour capable de jeter ma peau dans la balance. Je n’avais aucun autre moyen…Michel Vaujour. DMDM, 2009. Agnès Desarthe dit que chacun de ses mots est complètement incarné…
Cet homme a passé 27 ans de sa vie en prison. Il en a connu les conditions les plus difficiles (notamment les QHS et 17 ans de solitude absolue dans un cube de béton). Évadé plusieurs fois, il a expliqué à la documentariste Fabienne Godet (« Ne me libérez pas, je m’en charge ») comment il a pu psychiquement finir par échapper à l’univers carcéral et cette manière particulière qu’il a eu de se reconstruire à partir de la mort. Michel Vaujour dit aussi qu’il a écrit de nombreuses lettres avec son sang.
« Si il y en a un qui remercie la vie, c’est moi! J’ai appris les choses par le manque. »
Agnès Desarthe dit que chacun des mots de Michel Vaujour est complètement incarné…
« L’objet qui le prolonge… » La photo prise par Augustin-Victor Casanola quelques minutes avant l’éxécution de Fortino Sàmano, l’un des lieutenants du révolutionnaire mexicain Zapata. Michel Vaujour l’a eue sur le mur de sa cellule pendant 17 ans. Il souligne « le détachement serein » de l’homme avant la fusillade par les troupes constitutionnalistes.
Généralement les combats de minorités contre les dominations sont portés par les gens qui sont dominés parce que les dominants ne se sentent pas concernés. Si j’ai fondé cette association « Les indivisibles », c’est parce que j’ai été en premier lieu concernée par les préjugés que nous dénonçons de manière collective. Nous sommes les héritiers des combats antiracistes ou des marches pour l’égalité. Mais nous explorons aussi un champ nouveau. Il y a des lois contre les discriminations concrétes mais les préjugés relèvent de l’opinion et les recours légaux sont peu nombreux. À 30 ans, je fais partie d’une génération qui n’a pas forcément subli de préjugés violents. Mais quand on me demande d’où je viens, cette question me renvoie à un ailleurs exotique alors qu’avant Paris d’où je viens, je n’étais pas née.
Rokhaya Diallo. DMDM, 2009.
Celle qui se définit en 2017 comme une « féministe intersectionnelle et décoloniale » présente son association Les Indivisibles, dont l’objectif est de déconstruire les préjugés ethno-raciaux en utilisant l’humour. Elle explique le contexte de la naissance de cette association et évoque la cérémonie « Les Y’a bon awards » au cours de laquelle sont « récompensées » les déclarations publiques porteuses de préjugés.
C’est la souffrance en général qui m’intéresse quand elle est liée aux matières ou aux objets. Cette exposition n’a pas été facile à monter. Il s’agit là d’objets du continent africain (non figuratifs, ligotés, cloués, enveloppés, percés) qui font peur. Ce sont des matières indéfinissables, des amalgames, des déchets, le sang y est extrêmement présent.
Nanette Jacomijn Snoep. DMDM, 2009.
Elle fut céramiste. Elle est anthropologue et conservatrice des collections historiques au musée du quai Branly, commissaire de l’exposition permanente du musée Vaudou. Elle parle du malaise que ressentent les gens à la vue des fétiches dont elle précise la fonction à l’occasion de l’exposition « Recettes des dieux » (février-mai 2009) dont l’objectif était de montrer au public des éléments de collections rarement extraits des réserves, des choses invisibles et pourtant omniprésentes car intimement liées à la vie sociale de certaines populations.
« L’objet… » Une carte que N. Jacomijn Snoep a depuis l’âge de 7ans et sur laquelle figure un contrat toujours en cours d’indéfectible amitié avec une « copine ». Il fut « fétichisé » en 1978 quand les deux amies l’ont signé d’une goutte de leur sang en se piquant le doigt.
Mes personnages m’échappent toujours. C’est comme si j’avais un fusil à tirer dans les coins. Comme si mes armes, comme celles de Michel Vaujour, étaient en savon…
C’est une méthode de travail. Ça peut paraître absurde… Mais quand j’étais jeune écrivain, j’étais très sérieuse et très déprimée. Je faisais des plans comme à l’école et puis, je voyais que mon récit s’éloignait irrésistiblement du plan… J’ai essayé de lutter contre ça et puis je me suis dit: « Prenons la liberté comme méthode et acceptons de perdre le contrôle! » C’est seulement à ce moment que la poésie peut émerger.Agnès Desarthe. DMDM, 2009.
La romancière explique pourquoi la quête des origines est importante pour elle et pourquoi les personnages lui échappent toujours. Elle parle de son grand-père qu’elle a choisi de présenter dans son livre « Le remplaçant » publié aux Éditions de L’Olivier.
« Peut-être ferais-je mieux de commencer par expliquer que mon grand-père n’est pas mon grand-père…. »
« L’objet… » Un vieux châle « soviétique » troué, acheté avec un grand oncle au Goum. Il sert à tout: tenir chaud, envelopper des bébés, à être posé sur l’herbe. Elle ajoute que c’est aussi le titre du livre majeur de la littérature mondiale de Cynthia Ozik.
LIVE:
Samira Brahmia ( qui participait en 2009 aux « folles nuits berbères ») en sa page facebook…
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