Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #96: Errances livresques
Paula déambule, des rayons de la bibliothèque aux couloirs du palace local, avec un passage imaginaire dans le Comminges.
L’Institut français d’Abidjan n’avait rien programmé.
Pourtant, il abrite une médiathèque bien doté en livre et en BD. Le fond a toujours été important, le plus gros que je connaisse en Afrique. La fin de la crise politique en 2011 a enfin permis une rénovation partielle du bâtiment. La bibliothèque est transformée, dépoussiérée, bien plus accueillante que dans mon souvenir. Dès mon arrivée à Abidjan, j’ai repris un abonnement. En parcourant les rayons, j’ai retrouvé des livres, leurs histoires et mon histoire au moment de leur lecture. A mon grand soulagement, de nouveaux livres me font signe, quelques anciens également, que j’avais ignorés en trois ans de fréquentation assidue des lieux. Je dois au choix restreint de l’offre livresque de certains Instituts français quelques belles trouvailles littéraires.
Un bibliothécaire m’a reconnue immédiatement. J’étais soulagée de la réciproque. En cinq ans et cinq pays depuis mon départ d’Abidjan, j’ai côtoyé tant de personnes que des visages se superposent, les noms m’échappent – un problème récurrent chez moi – et plus remarquable, les contextes dans lesquels j’ai connu les personnes. J’aurais croisé le bibliothécaire dans la rue, je ne l’aurais pas remis.
Je regrette que l’appellation « centre culturel français », CCF pour les initiés, ait disparu. Le mot « institut » est pesant du poids financier pris par la fonction enseignement du français et semble avoir évincé la culture. Celle-ci n’est plus subventionnée et les spectacles sont obligés de s’auto-financer. Comme le prix des billets doit rester raisonnable – la niche des riches amateurs de spectacle est bien trop réduite ici – le partenariat privé est de mise. Pourquoi pas? me dira t-on. Mais ça m’agace de devoir un plaisir culturel à une compagnie aérienne ou téléphonique.
Une interrogation similaire traverse « Pronomade(s) ou la petite fabrique d’humanité » de Daniel Conrod. Ce livre ne vient pas de l’Institut Français; il serait bien trop exotique puisqu’il narre l’aventure artistique et humaine d’un territoire, le Comminges, au pied des Pyrénées, non loin de Toulouse. Nomade dans l’âme, j’ai trouvé fascinant de suivre l’aventure d’une manifestation culturelle – Pronomade(s) – consacrée aux arts de la rue et qui s’échelonne sur vingt-quatre ans, sur un même lieu. Si les spectacles s’écrivent nomades, ils cherchent à s’inscrire dans le territoire en impliquant les habitants dès l’écriture de certains spectacles. L’envie initiale d’un désordre culturel et ponctuel dans une ville trop ordinaire s’est muée en centre national des arts de la rue.
Le chapitre consacré à « l’encrage » du projet dans le territoire avec ses avancées, reculs, enthousiasmes, indifférences ou rejets, m’a renvoyé à certains des projets de développement que j’ai suivis: je me prends à imaginer tisser un récit dans la même veine pour un projet de nutrition à base communautaire ou d’intégration socio-économique des jeunes.
Patinoire de l’Hôtel Ivoire
Dimanche, alléchés par une demi-page dans le quotidien ivoirien de référence, nous avons visité une exposition installée dans un couloir d’hôtel. Quelques tableaux et sculptures se faisaient face sur une trentaine de mètres semblant ne pas savoir eux-mêmes les raisons de leur présence. Une personne assurait bien une permanence mais aurait pu tout aussi bien ne pas être là tant elle veillait à ne pas se faire remarquer. Nous sommes sortis un peu dépités.
Mais nous avions promené notre spleen dominical et récupéré des informations sur la piscine de l’hôtel, un étonnant bassin tout en circonvolutions: s’y baigner relève de la course d’orientation. La piscine est à l’image du lieu, l’Hôtel Ivoire, une démonstration du « miracle ivoirien » des années 60 à 90, dont « l’attraction absolue » a longtemps été la patinoire, « la seule de toute l’Afrique subsaharienne. »
A l’occasion des 50 ans de l’hôtel célébrés en 2013, Henriette Diabaté* raconte:
Pour ceux du pays profond, visiter Abidjan a toujours consisté en deux parcours essentiels : voir la mer et voir l’Hôtel Ivoire. Autant dire que celui qui est venu à Abidjan, sans avoir effectué ces deux pèlerinages, a voyagé inutile.
Pendant longtemps aussi, c’est ici que les Ivoiriens et même les citoyens des pays voisins, venaient voir de près, à quoi ressemblait la neige et ressentir les effets du froid de l’hiver. C’est vrai que cette idée d’une patinoire en plein pays tropical était pour le moins inattendue et originale.
La patinoire a fermé en 1999, devenant depuis la réhabilitation de l’hôtel une salle de spectacle. L’hôtel a perdu de son lustre pendant la dizaine d’années de crise: ses prestigieux visiteurs de la politique et du showbiz ont changé de pays comme d’autres changent de crémerie, remplacés par des personnalités ou des groupes plus ou moins discrets (jeunes miliciens de Laurent Gbagbo et membres du service d’écoute pour le même ex-président par exemple).
Cet hôtel est le premier endroit où j’avais été boire un verre à mon arrivée en 2008. Malgré sa décrépitude, il demeurait un lieu à visiter. Le « lounge » m’avait semblé décati, très « fin de règne » comme écrirait Marco.
Aujourd’hui, l’hôtel rénové est devenu le énième établissement d’un grand groupe hôtelier de luxe. Malgré sa singularité, il suinte l’ennui avec sa décoration où domine le marbre marron, décor universel inventé pour que le voyageur ne se sente pas dépaysé, de Tokyo à Ouagadougou, suivant la même recette que les hôtels Ibis® que l’on trouve ici aussi, mais avec du marbre à la place du formica.
*Première femme ministre d’Etat en Côte d’Ivoire (culture, justice)
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