Les diamants ne sont pas éternels quand ils sont en toc. Une jeunesse cambodgienne non plus quand on lui fait oublier son passé. Un premier essai cinématographique fluorescent.
Bora prend un bus, destination Phnom Penh, la capitale et un rêve. Phnom Penh qui rêve elle aussi, rêve de devenir métropole internationale et mondialisée, coulant des milliers de tonnes de béton pour effacer le souvenir des khmers rouges. Tous les Bora y sont bienvenus pour construire à pas cher un futur sans passé.
Le voilà donc rejoignant le chantier de Diamond Island, un nouveau quartier gagné sur une île en friche qui sera une vitrine chic mais toc d’un pays qui se met au luxe. Sans qualification, le voilà intégré à une armée de néo-esclaves sous-payés, mais il y trouve vite son compte, tout est mieux, plus brillant que le village. Le projet diamant miroite, il attire la jeunesse des quartiers de la vieille ville. Après le travail, on boit des coups, on va à la fête foraine, on drague. Le puceau rural apprend les gammes de la séduction et d’une modernité et envisage de passer de l’autre côté du miroir. Au risque d’y perdre son âme.
Mais puisque son pays se fout de la sienne…
Illusions
Diamond Island étonne autant qu’il amuse, dans la gravité qui imprègne ce qui n’est pas un teen-movie. Davy Chou, lui-même très jeune – c’est son premier long-métrage de fiction – choisit le genre pour le détourner et en faire un objet atypique. Car si la forme peut sembler finalement très classique, linéaire et réaliste, il l’émaille de trouvailles, effets et trucages qui décalent sans le dire. Politique sans sentence quand il choisit pour décor un projet immobilier iconoclaste sans aucune référence à la culture d’un pays d’Asie profonde et d’histoire: au contraire la publicité vante son « style européen« . Les jeunes alouettes qui viennent s’y mirer savent mieux facebook que Angkor, c’est une réalité que connaissent bien les promoteurs. L’image le dit finement (et joliment) dans ses adroites compositions, autant dans les froides verticales du chantier (grues, squelettes d’immeubles en construction, engins géants) que dans les lumières chaudes, fluorescentes d’une fête foraine qui entretiennent l’illusion. Comment imaginer le futur d’une génération entraînée dans l’illusion.
Au Cambodge comme ailleurs, comme ici.
Ce qui étonne dans Diamond Island et par extension dans tous les grands projets de construction apparus ces dernières années au Cambodge, c’est l’absence de trace du passé, de l’histoire, de la culture. Je suis frappé de voir cette amnésie en marche, cette façon de mettre le passé sous le tapis en embrassant la modernité.
Davy Chou
> Un extrait:
Diamond Island – Davy Chou (Cambodge) – 1h43
Articles Liés
- Ciné, cinoche #260214
Un quart-monde moyenâgeux, en Europe, en Bosnie, à deux heures d'avion de Paris. Une famille…
- "Les rencontres d’après minuit" (Yann Gonzales)
Les rencontres d’après minuit – Yann Gonzales Les rencontres d’après minuit – Yann Gonzales – 1h32…
- "Arrête ou je continue "(Sophie Fillières)
Amour toujours? Tu parles… Peut-on s’affranchir de l’usure du quotidien? Passe-moi le sel, y a…
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202053120Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...