Julie Bertuccelli propose un magnifique portrait d’une jeune femme magnifique qui, dans sa différence, écrit l’ineffable.
Hélène, qui s’est inventé le (sur)nom de Babouillec est donc autiste, accompagnée depuis toujours par Véronique, sa mère, une mère d’une fraîcheur et d’une disponibilité qui force l’admiration, on devine la patience, ou plutôt le contraire de l’impatience, qui l’anime et qui ont permis à sa fille d’être, étape après étape, à son rythme, à leur rythme à toutes les deux, en effet sans impatience, dans la découverte l’une de l’autre. C’est d’abord cet échange qui a permis une évolution. Petite, Hélène ne supportait pas le contact, le toucher, sa mère trouvera des objets de transfert qui permettront qu’elles se prennent aujourd’hui dans les bras, qu’Hélène lui dise « Je t’aime« .
Hélène a 20 ans lorsque Véronique découvre dans sa curiosité des hasards, que sa fille qui n’a pas les facultés motrices pour écrire, qui ignore la parole, peut dire en manipulant des petites lettres plastifiées rangées dans un casier alphabétique. Ce que Barbouillec écrit alors, lettre après lettre, est stupéfiant. Elle qui n’a jamais été à l’école, à qui on n’a pas lu de livres, parvient désormais à répondre aux questions du quotidien et, bien plus, à inventer un écrit et une pensée habituellement réservée aux poètes, aux philosophes. Elle use de la richesse d’un vocabulaire dont le commun des mortels ne connait pas toujours le sens, toujours sans la moindre faute d’orthographe. Quand on lui demande comment elle a appris à écrire?
Je joue avec les espaces secrets de mon cornichon de cerveau »
Babouillec
Elle a aussi le sens de la formule! Une autre:
Je suis d’un lot mal calibré, ne rentrant nulle part.
Babouillec
L’acuité de sa langue et de sa pensée est rare, extraordinaire. Quand le monde est désormais gouverné par des algorithmes sans âmes, elle écrit un déroutant Algorithme éponyme dont Pierre Meunier et Marguerite Bordas s’emparent pour en proposer une version théâtrale au festival d’Avignon en 2015 et bientôt au Théâtre de la Ville à Paris.
Regards
De cette fée de la conscience donc de la question, Julie Bertuccelli réussit l’ébauche d’un portrait aussi réussi que possible, comment prétendre faire le tour d’un mystère? Seulement approcher un univers, un ailleurs.
Etre auprès d’elle, échanger avec elle, la lire, la regarder comprendre le monde de sa manière si personnelle, mais aussi jouir de la vie et de ses perceptions, a été un moment privilégié et bouleversant pour moi.
Julie Bertuccelli
Avec justes distance, délicatesse et pudeur, elle ne dissèque pas un phénomène, son film qui n’est pas clinique ne convoque pas « spécialistes » et autres « toutologues » qui s’essayeraient à quelques vaines sentences sur l’étrange d’Hélène. Pour autant son empathie qui force la nôtre n’est pas angéliste. Hélène, elle le montre, si elle est souvent drôle, est un être sensible, qui souffre, de son handicap, mais aussi, comme nous tous, des doutes et des impossibilités, même si Babouillec, mieux que beaucoup d’entre nous, sait en extraire une substance qu’elle met aussi à notre disposition. Et de cela aussi Julie Bertuccelli propose, si ce n’est une explication, un regard en captant la profondeur de celui d’Hélène, ses yeux avides autant que rieurs, toujours à l’affût pour enregistrer ce que son « cornichon de cerveau » transformera en éblouissements.
On ne doit pas se priver de ces Dernières nouvelles du Cosmos.
Dernières nouvelles du cosmos – Julie BERTUCELLI (France) – 1h25
> extrait:
> Les livres de Babouillec
> Forbidden sporgersi, d’après Algorithme Éponyme, au Théâtre de la Ville – Paris, 20 – 28 février 2017
Avec le recul mon œil a retrouvé son sens critique. La beauté que dégage l’image nous offre la possible interrogation de l’émotion. Rire ou pleurer face à ce monde d’un ailleurs. Vrai sujet de société, parler de l’autisme peut déranger. A travers ton film Julie, j’apparais comme une personne hors circuit qui avec sa boite de lettres compose un langage d’une autre appartenance et les mondes se rejoignent. Avec plaisir je m’observe dans ton œil goguenard habité par l’amour de la lumière directe, fluide, embellissant les contours poétiques du réel. Abracadabra et saperlipopette, j’adore ce magique instant de l’éternité dans lequel, le regard, l’émotion, le corps tout entier s’immobilisent. Je crois que cette étrange alchimie de l’instant pour l’éternité m’enseigne la confiance dans l’existence d’être quelqu’un quelque part dans un espace de partage. Alors merci Julie d’avoir embarqué avec moi dans ce monde d’un ailleurs que tu appelles « des nouvelles du cosmos ».
Avec ma tva (tout vivre amour)
La lettre de Babouillec à Julie Bertuccelli après avoir vu son film.
La lettre de Babouillec à Julie Bertuccelli après avoir vu son film.
Julie Bertuccelli invitée de L’Émission
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