Une parabole loachienne contre la résignation, un classique moderne à redécouvrir. 🎬
D’abord Tonya, la mère. Une femme courageuse mais dure, elle ne discute pas son énergie, vendeuse sur le marché, toujours affairée à la maison. Ça rapporte pas gros, tout juste de quoi vivre dans un bidonville de Manille. Son mari l’a quittée pour une autre, sans doute plus jeune. Pas rancunière, généreuse dans l’âme, elle continue à accueillir la famille de son ex, une bonne demi-douzaine de bouches à nourrir, elle finira par mettre à la porte ces pique-assiette trop oisifs.
Ensuite, Insiang, la fille de Tonya, jolie jeune femme que sa mère tient à la baguette autant pour veiller à sa bonne éducation que pour lui faire payer le départ de son père à qui elle ressemblerait bien trop. En tout cas la fréquentation des garçons, qui serait pourtant de son âge, est interdite.
Enfin Dado, un petit caïd local qui, quand il n’est pas à l’abattoir où il saigne avec jouissance des cochons, fait la loi dans le quartier. Bien que beaucoup plus jeune qu’elle, c’est le nouvel amant de Tonya qui l’installe à domicile.
A cette galerie, il faudrait ajouter de multiples personnages secondaires qui vont contribuer à installer le drame qui va se jouer au sein de ce trio. Ils poseront eux aussi le décor et l’ambiance: la boue, le dénuement donc la débrouille, le chômage universel, le machisme, l’alcool dès le plus jeune âge, bref la misère au quotidien.
Donc, voilà Dado installé chez Tonya, sous le regard inquiet d’Insiang, d’autant que sous son influence, sa mère se laisse aller au stupre, à l’alcool, au jeu. Le prédateur a son plan, s’il a séduit la mère c’est pour emporter la fille. Comme sa proie ne l’entend pas ainsi, il la viole. Mais, alors que Dado, veulement, feint de lui demander pardon, Insiang semble lui accorder en l’invitant dans sa couche. Elle a en tête un plan infernal que l’on n’imaginerait pas concevable dans un esprit d’une telle innocence apparente. Il donnera lieu au final terrible autant qu’inattendu d’un film pourtant poignant dès ses premières images.
Vintage, intemporel
Il y a de la tragédie grecque, du drame shakespearien, dans le portrait de cette femme qui ne se résigne pas à sa condition de victime, victime sexuelle, victime sociale d’abord. Son effacement n’est qu’apparent, il deviendra ruse, renforçant sa détermination à punir ceux et celles qui imaginaient pouvoir se jouer d’elle.
Insiang est d’abord un drame social planté dans un monde de désolation qui justifierait le non-droit et l’immoral. Mais son personnage central, d’emblée, semble ne plus vouloir y appartenir suggérant que la révolte contre l’injuste, l’humiliation, est universelle, hors classes, la dignité ne se marchande pas.
Le film a le délicieux parfum d’un classique que l’on découvrirait au ciné-club, mais il est aujourd’hui en salles, bel et bien restauré, distribué par Carlotta qui œuvre depuis longtemps (et courageusement) pour la diffusion du cinéma de patrimoine. Forcément, la façon date un peu, dans la démonstration inondée de musique sonnante, mais c’est ça aussi le plaisir de regarder un film qui a 40 ans. D’autant que celui-ci associe intelligemment réalisme documenté et bonnes intentions de mise en scène, de cadres et même de belles lumières dans ces bas-fonds sans soleil.
Lino Brocka, son réalisateur prématurément disparu en 1991, est l’auteur d’une filmographie impressionnante qui n’a pas seulement encouragé les cinéastes de son pays qui lui ont succédé (Brillante Mendoza), on imagine aussi que Ken Loach, Fassbinder ou Pasolini auraient reconnu une fraternité avec Insiang.
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