DVD. « Au-delà des montagnes ». En bonus, les commentaires de son réalisateur 🎬
Les explications de Jia Zhang-Ke éclairent plus encore une œuvre magistrale et engagée.
Tous les grands artistes ne sont pas forcément les meilleurs commentateurs de leur œuvre mais Jia Zhang-Ke sait évoquer ses films avec une sensibilité lumineuse, comme l’avait prouvé le documentaire de Walter Salles, Jia Zhang-ke, un gars de Fenyang. La parution en DVD (Ad Vitam) de son dernier film, Au-delà des montagnes, a l’avantage d’inclure en bonus une interview du réalisateur qui, comme le dit son chef opérateur Yu Lik-wai, explique toujours ses projets avec une infinie précision – avant que l’épreuve de la réalité n’apporte son lot de surprises.
Un film sur le temps
Un film sur le temps, dans les deux sens du terme, c’est ce qu’a voulu faire Jia Zhang-Ke dans Au-delà des montagnes. Ce « gars de Fenyang » se souvient des larmes de son père, la première fois qu’une voiture franchit les remparts de ce petit village traditionnel, et il n’a plus cessé ensuite de tourner des films qui représentent le mouvement d’ouverture, intérieure et extérieure, qui bouleverse profondément la Chine: le développement du réseau autoroutier puis l’accès à internet ont en effet entraîné une rupture technologique dont les conséquences sur le tissu social et l’environnement ont été radicales.
Dans Au-delà des montagnes, la scène de Platform où les ados se précipitent pour voir passer les trains semble déjà de l’histoire ancienne. Certes, les personnages sont toujours fans de pop music et les scooters ou les voitures restent l’apanage de l’élite mais les trains se modernisent aussi vite que les téléphones ou les tablettes. Les trois temps du film, 1999, 2014 et 2025, sont rendus visuellement sensibles par l’usage de caméras différentes: Jia Zhang-Ke exploite des séquences tournées en pellicule, à la fin des années 1990, et des plans bien plus récents, tournés en numérique, avec des caméras RedOne puis Alexa, dans le Nord de la Chine.
La technique lui permet aussi de suggérer les conséquences environnementales de ces mutations technologiques: les premières parties du film, en Chine, évoquent la pollution qui touche le pays tandis que des textures en plastique donnent l’impression d’une grande qualité de l’air en Australie, dans la dernière partie.
La construction de l’intime
Le but de Jia Zhang-Ke était aussi et surtout de restituer les répercussions intimes de ces mutations technologiques et environnementales, en évoquant le passage des générations. Après l’exaltation du collectif, encadrée par l’État, les jeunes réapprennent à dire « je« , en écoutant des chansons sentimentales, comme l’héroïne d’Au-delà des montagnes. Son prénom l’indique: Tao est d’abord une vague qui danse au milieu de la foule, avant qu’une solitude contrainte ne vienne sanctionner le mauvais choix de ses vingt ans.
A son habitude, Jia Zhang-Ke s’attache donc à la vraie vie de personnages qui ne sont pas des « détenteurs de pouvoir« , qui ne possèdent aucune des ressources de la société et subissent le système. Si l’ouverture sur le monde concerne presque tous les Chinois, la liberté de fuir reste plus facile pour les nantis, qui adulent le dieu Dollar.
Le réalisme de ses films s’exprime aussi dans le respect des accents et des dialectes locaux, que la production chinoise avait entièrement gommés après 1949, dans une tentative d’unification et d’homogénéisation forcée. Si Jia Zhang-Ke représente des écarts de richesse indécents, entre un mineur et un financier de Shangai qui ne partagent plus qu’un amour de jeunesse, c’est donc aussi pour opposer des identités culturelles qui scindent la société chinoise.
On ne peut pas empêcher le changement, mais simplement tourner des films pour garder la mémoire de ce qui a été.
Jia Zhang-Ke
Au-delà des montagnes répond parfaitement, encore une fois, à cette ambition, en montrant que le temps n’est pas seulement une force destructrice, mais aussi un révélateur social et intime.
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