Un film juste, justement récompensé. Quand Philippe Faucon interroge à nouveau l’invisible, l’indicible, l’incompréhensible.
Ovationné à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, Prix Louis Delluc, Prix du Syndicat Français de la Critique, trois César enfin dont le plus prestigieux: Meilleur film français. Pas mal…
On a légitimement insisté lors de la sortie de Fatima sur ce personnage-titre de femme de ménage, handicapée au delà de sa condition d’immigrée, musulmane voilée qui ne maîtrise pas le français, mère-courage qui se sacrifie au boulot pour ses filles dont un meilleur avenir est l’unique objectif. Quand, perdue entre deux cultures elle fait de son mieux pour leur donner éducation et soutien, jusqu’a vendre ses bijoux. Humaine au delà des mots qu’elle n’a pas assez, au delà des maux de son quotidien. Les mots, en arabe, c’est dans son journal qu’elle les couchera dans d’éblouissantes formulations poétiques.
Le cœur est un jour plein de soupirs, un jour plein de haine.
Fatima
Mais Fatima ne serait pas ce qui lui valu un César consensuel et un succès critique et public, sans celles qui, en creux font la force dramatique du personnage: ses filles. En s’intéressant opportunément aux filles de Fatima qui doutent, chacune à leur façon de leur héritage culturel, Philppe Faucon questionne cette si particulière identité des enfants de l’immigration. Souad, la plus jeune, n’est pas seulement dans une rébellion adolescente, elle y ajoute, certes maladroitement, sa révolte contre les principes de son milieu venu d’ailleurs et ce qu’elle voit comme les renoncements de sa mère qu’elle traite « d’ânesse, d’incapable, de torchon« . Question: les immigrés sont-ils condamnés à la condition de torchons? Non, répond la grande sœur, si elle n’est pas moins sceptique sur les enseignements et les rigidités du Coran, elle tente l’ascenseur social des études de médecine et simultanément une émancipation générale. La palette de la problématique de l’immigration est en place, où sont les repères, ici ou là-bas, ailleurs en soi? Universelle interrogation.
Sobrement, Philippe Faucon n’assène pas, il propose, dans la douceur de sa mise en scène. Déjà dans Samia (2001), il disait le doute d’une enfant de l’immigration, un doute qui, face à l’échec devenait radicalisation dans La désintégration (2011).
Naturaliste Philippe Faucon? plutôt impressionniste.
« Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse » dit le proverbe. J’avais envie de raconter ce qui marche, ce qui pousse lentement et en silence même si la forêt est pleine de bûcherons.
Philippe Faucon
Fatima, la vraie existe, c’est elle qui a écrit un journal, sur 20 ans: Fatima Elayoubi « Prière à la lune ». C’est ce livre qui a donné à Philippe Faucon l’envie d’écrire et de tourner Fatima. Pour ce faire il a trouvé trois comédiennes qui participent à cette entreprise de bousculement. Soria Zeroual, évidemment, elle-même femme de ménage immigrée, elle joue sa vie. Kenya Noah Aïche, l’ado sincèrement révoltée mais perdue. Zita Hanrot, la grande mais sûre de rien, celle-là, évidemment césarisée (Meilleur espoir féminin), elle sera sûrement prochainement en haut d’une affiche.
Bonus
Outre (re)voir le film, le Dvd propose des suppléments. Le classique entretien avec le réalisateur, pas inintéressant d’entendre Faucon sur l’origine du projet, son choix des interprètes, ses principes de mise en scène et de direction d’acteur. Comprendre la sincérité de ses choix.
Classique aussi les captations du casting des comédiennes: pittoresque de voir d’où elles sont parties.
Le vrai bonus, c’est un court-métrage de Philippe Faucon, tout lui mais ailleurs de ce que l’on connaît. Making off, tourné avec des comédiens en formation, un faux film amateur qui met en abîme le cinéma. Une comédie, une curiosité, une pépite.
3 extraits de Fatima:
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