Les Carnets d’ailleurs de Marco et Paula #46 : Vous n’avez encore rien entendu?
Le bruit, les bruits…
Il y a cet homme qui au coin de la rue crie « victoire! » « victoire! », toujours en deux fois, toujours sur le même ton. Ce doit être le nom d’un quartier ou d’une commune. Il appelle les clients pour son taxi. Enfin, je pense…
Il y a cette pompe à eau, juste au dessus du plafond de la chambre qui couine, ronfle, s’ébroue et tape du pied selon les besoins en eau de l’immeuble. Une nuit d’insomnie, j’ai abandonné les moutons pour compter la fréquence de son couinement : 1 fois six secondes toutes les 20 secondes.
Il y a la circulation du boulevard, les avertisseurs, les moteurs mal réglés, le hurlement de taxis qui ont choisi comme klaxons les sirènes des flics américains. Il y a encore cet échappement qui, le dimanche ou la nuit, enfle puis décroit le long du boulevard, signature sonore d’un motard en mal de vitesse.
Il y a parfois l’embouteillage spontané qui se crée dans notre rue si peu passante, en travaux; trop de conducteurs ont pensé au même moment pouvoir contourner l’embouteillage du boulevard.
Certains soirs, les chiens gardiens d’une maison voisine hurlent, jappent. Le bonheur d’être enfin libérés – ils ont passé la journée enchaînés devant les portes, et couinent quand ils se font rosser. Un autre chien, probablement un petit bout de chien, geint parfois une heure de temps sans que ses maîtres semblent s’en émouvoir.
Certains soirs, de façon très irrégulière, une discothèque ou une salle des fêtes nous offre sa musique. Je ne sais pas où elle est ; dans ce quartier le son rebondit sur les façades des immeubles qui chatouillent le ciel plus qu’ils ne le gratouillent, faute sans doute de tête de veau à la vinaigrette, nous dirait ce cher Dr Knock (dans la pièce de Jules Romain adaptée à l’écran par Guy Lefranc).
Certains soirs, une église quelconque officie. Ses fidèles doivent être très fâchés avec leur dieu pour lui balancer jusqu’à trois heures du matin, des chants aussi laids, dénués d’emphase, d’harmonie, de sublimes élévations, juste une même mélopée reprise sans cesse, par la même voix sur une très courte ligne mélodique qui aurait oublié les graves. Marco de retour de France nous a rapporté deux pleines boîtes de ces « boules Quies », dénommées sourdines avant que l’antonomase s’impose.
Tous les soirs, les crapauds chantent et c’est gai.
Hier, nos voisins célébraient l’anniversaire de leur fille. Ils habitent de l’autre côté de la rue. Je les observe souvent ; en fait, chaque fois que je m’installe sur le balcon pour fumer. Le dos calé contre le mur, sur mon tabouret pliable, je ne vois qu’eux. Mes yeux sont aimantés. Ils sont mon écran de tv. La fête bat son plein, les gamins dévalent des toboggans, s’empiffrent de sucreries pendant que les parents papotent. La sono est mise en route, avec un volume supportable pour l’après-midi. Subitement, je tends l’oreille car ce qui me semblent bien être les mots « alqueida » et « sexe » reviennent en boucle dans un rap. Cette chanson vient bien de la fête ; je vois une enfant marquer joliment le rythme. Elle s’arrête brusquement, un adulte a dû sortir de sa torpeur et réalisé que les paroles pouvaient peut-être surprendre leurs bambins. En cherchant un peu, j’ai fini par trouver sur le net de quoi il s’agissait : de la production d’un obscur chanteur congolais, pas même répertorié par Google. Plus tard, ils ont chanté « joyeux anniversaire » en français, puis en anglais, en lingala, en kikuyu, en swahili, que sais-je encore.
Certains jours, j’ai mal à la tête.
(NDLR : certes!)
Tout Nomad’s land.
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