Shakespeare #29. « Dans 50 ans, Madagascar sera un désert »
Des kilomètres de forêts en feu, des collines dénudées, une terre à nue. Notre traversée de Madagascar d’ouest en est nous a miné le moral. Heureusement, un peu plus à l’est nous avons retrouvé des forêts. Mais le constat est terrible: moins de 20% de la forêt originelle survit encore. Mais pour combien de temps?
Madagascar est un pays potentiellement riche. Je sais, cela surprend toujours quand on sait que l’île est classée dans les dix pays les plus pauvres du monde. Même les Comores s’en sortent mieux. Un sous sol d’une immense diversité (nickel, cobalt, ilmenite, sable bitumineux, pétrole lourd, mica, graphite, charbon…) exploité pour une grande majorité par des opérateurs extérieurs, des baies, des embouchures de rivières, des plages, à couper le souffle, de l’eau, du soleil, des rizières, des zébus, de la terre, des essences rares, des plantes médicinales, des lémuriens… Un pays où, quelque soit le lieu où l’on se pose, en dehors de la capitale Antananarivo, on a simplement envie de rester et de profiter, chaque seconde, de la paix et de la plénitude que la nature est capable de nous offrir.
Et justement, cette nature, des plus grands arbres aux plus petites orchidées, disparaît à grand pas. A pas de géants. Nous venons de traverser le pays, de Mahajanga (côte ouest) à Antananarivo. Nulle ombre à l’horizon. Le rouge sang de la latérite nous a déchiré le coeur. Notre doc qui connaît bien le pays pour y être née n’a pas desserré les dents où la colère le mélangeait au dépit. Et puis, en partant vers Andasibe (à trois heures à l’est d’Antananarivo), le sourire revient. Un peu. Parce que dans cette zone, des réserves nationales ou privées se battent pour sauver ce qui peut l’être encore. Dans les fonds de vallées, le vert puissant des rizières remet aussi un peu de baume au coeur.
Brûlis, calamité
Alors nous avons cherché à comprendre, parce qu’on ne se refait pas. En 2000 l’IRD (Institut de recherche et développement) faisait ce simple constat: il ne reste que 20% de la forêt originelle malgache. Et depuis, chaque année près de 36 000 hectares partent en fumée. Sur notre route et parce que c’est la saison, des volutes de fumée, des bandes de terres calcinées. Le rouge et le noir qui cette fois racontent une sale histoire. La culture traditionnelle sur brûlis. Une calamité, qui au-delà d’en être une, écologique de base, est une aberration agricole. Une terre brûlée et travaillée aura un fort rendement la première année puisqu’on travaille sur la couche riche, mais celle-ci est si mince que les premières grosses pluies commenceront à raviner. Au bout de cinq ans, cette terre ne donne plus, alors on brûle plus loin, et ainsi de suite. La forêt, elle ne se régénère pas, jamais, des études ont porté sur des terres abandonnées depuis 30 ans, la terre est devenue purement et simplement stérile.
Autres raison de ces hectares de forêts brûlés? Des pâturages pour les zébus ou encore de la fabrication de charbon de bois, des coupes rangées, jusque dans les zones de réserves naturelles. Et dire que ce pays a dans son sous-sol des millions de mètres cube de charbon inexploités…
Chinois
Il n’y a ni volonté politique réelle, ou alors si c’est cas, elle est très discrète, ni prise de conscience. Mais entre manger et sauver la forêt, je ne suis pas sûre qu’il y ait débat. Aujourd’hui est plus important que demain.
Les paysans ne sont pas les seuls fautifs, ce serait trop facile. Quid du ratissage pur et simple des eaux malgaches avec des permis de pêche attribués aux étrangers? On ne peut pas faire un pas à Madagascar sans entendre « Les chinois ? Ils ont tout ratissé, il n’y a plus de crabes à Fort Dauphin (Tolaniaro)« , en baie de Moramba lieu connu s’il en est pour ses mangroves et donc ses crabes, les pêcheurs dépités nous ont parlé d’interdiction de collecte quatre mois par an, « parce que vous comprenez depuis trois ans les Chinois prennent tout, alors il faut qu’il en reste » et ainsi de suite. Les Chinois ont le dos large me direz vous? Qu’en est-il alors de ce bateau saisi à Hong Kong début octobre avec près de 7000 pièces de bois de rose provenant de Madagascar ou quelques jours plus tôt un autre bloqué à l’île Maurice pour les mêmes raisons?
La forêt perd ses essences rares, certaines ne doivent plus être commercialisées, d’autres ont été sur-exploitées. On coupe sans replanter. Et au-delà de la forêt, les plantes endémiques disparaissent en perdant leur environnement protecteur. L’habitat des lémuriens recule et certaines espèces sont en voie d’extinction. Enfin, les plantes médicinales, encore une autre grande richesse malgache, finiront elles aussi par se raréfier.
La forêt de Borneo a fait la une de tous les médias il y a quelques jours (on la brûle pour élargir les zones de culture d’huile de palme), à juste titre ne vous méprenez pas, mais si l’on consacrait le quart du dixième ce cette exposition médiatique à Madagascar, ce serait assurément juste.
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