Dans Les inquiets et les brutes, le metteur en scène Olivier Martinaud nous plonge dans un huis clos intimiste et angoissant, aux apparences trompeuses et inquiétantes. Avec son écriture, Nis-Momme Stockmann nous présente un affrontement entre deux frères, Eirik et Berg, deux personnalités, deux révélations et deux paroles troublantes dissimulant des violences indicibles, mais irréversibles.
Dans le rapport de force entre eux depuis leur plus tendre enfance, Eirik se positionne comme le leader et le maître à penser de ce duo disparate. Sans cesse dans l’humiliation et le rabaissement à faire subir à Berg, il expie toutes ses angoisses sur son frère qu’il victimise constamment. Qui prendra véritablement le pas sur l’autre? Qui restera en accord avec lui-même et lequel des deux survivra face à cette tension extrême ?
La force tranquille de Berg s’oppose à l’agitation de son frère, l’ultime décisionnaire, celui qui contrôle tout afin de ne jamais lâcher prise et de mieux dissimuler sa confusion et son mal-être. Le suspense est omniprésent et nous sommes perpétuellement dans l’attente de connaître l’évolution de cette relation énigmatique débordant d’insensibilité. Une froideur retransmise dans l’ambiance glaciale qui n’est pourtant pas due à la présence du mort, qui ne semble être qu’un prétexte, afin de mieux régler leurs conflits et de pouvoir s’indigner face à la terre entière.
Les deux personnages mènent une bataille contre eux-mêmes et une lutte douloureuse qui se dissimulent derrière l’humiliation de l’autre. Eirik a ce besoin d’évacuer, d’expulser tout ce qu’il ressent et d’agir sans répit afin de mieux gérer cette peur du constat et de la pensée; mais aussi la nécessité de cet inconfort face à son frère stoïque qui se réfugie dans le silence. Un frère qui reste de marbre, mais dont la parole et les discours philosophiques le raccrochent à la réalité et le font exister à part entière. Chacun dans sa terreur, tente de vaincre l’obsession de la mort et d’oublier ses découvertes insensées. Habités par des cauchemars et des craintes, ils se rapprochent, se révèlent à l’autre puis s’éloignent. Entre confession, honte, traumatisme et isolement, ils s’interrogent sur la dignité et le sens de l’existence. Une vie, un monde qui leur paraissent hostiles et souvent banals, un quotidien qui conduit à la solitude, à la déception et à la monstruosité. Une désillusion et un dégoût ressentis, qu’ils doivent à leurs découvertes, qui offrent à la pièce un humour noir et grinçant. Leur père, mort dans son fauteuil, est souillé d’excréments de chats, il dissimulait chez lui des montagnes de poubelles et de cadavres d’animaux, ainsi qu’une centaine de poèmes ratés que ses fils découvrent avec stupeur.
Une atmosphère étrange s’installe petit à petit ainsi qu’une instabilité insaisissable, ce qui fait tout l’intérêt des émotions qui s’en échappent. Il s’agit d’un malaise et d’un trouble transmis à la perfection, avec aisance et habileté, par les deux comédiens, inquiétants visages d’un tableau familial terrifiant. Laurent Sauvage exprime, toujours avec ce charisme légendaire hypnotisant, un puissant mystère et une violence contenus, qui attisent la curiosité et nous préparent au pire. Il est ce Berg contrôlé, ce souffre-douleur qui accepte son sort sans rébellion car l’intelligence, la maîtrise et la patience dont il sait faire preuve sont des atouts inestimables dans la Loi du talion. Quant à son partenaire, Daniel Delabesse, il contre cette obscurité apparente avec son énergie, ses manies obsessionnelles et son cynisme qui dédramatisent l’extrême urgence de la situation qu’il pense surmonter jusqu’au moment où…
Les inquiets et les brutes, texte de Nis-Momme Stockmann, mise en scène: Olivier Martinaud
Paris – Théâtre du Lucernaire – Jusqu’au 16 mai 2015
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