Lettres ou ne pas être #47: journal, journaux
« Si le cœur de l’histoire contemporaine bat quelque part, ce n’est pas dans le silence des archives mais dans le brouhaha d’une salle de rédaction ou le tohu-bohu cérémonieux d’une conférence de presse ». (Pierre Nora, Présent, Nation, Mémoire, Gallimard, 2011, p. 74-75)
Depuis janvier, j’ai beaucoup plus envie de lire les journaux qu’Aristote ou Genette, donc je me suis abonnée la semaine dernière à Libé. Il y a deux ans, j’avais souscrit un abonnement au Monde, au prix imbattable de 16 euros par mois pour les étudiants, mais il n’y a finalement que mon copain qui le lisait et j’avais fini par m’auto-convaincre que moi, c’est aller acheter mon journal au magasin de journaux qui me donnait envie de le lire. Ceci dit, je me suis laissé apitoyer par le stagiaire sympa qui a passé la journée rue Mouffetard, debout dans le froid, à essayer d’attirer de nouveaux abonnés pour 25 euros mensuels. Il a raison, la presse a besoin de soutiens en ce moment, et c’est bien connu, Libé se lit plus vite et plus facilement que Le Monde.
Comme j’essaye de concilier ces nouvelles préoccupations avec ma thèse, j’ai aussi décidé de changer de salle à la BNF. Je ne vais plus dans la salle V, la salle des lettres que je commence à ne plus supporter, mais dans la salle d’histoire, la salle L. Il y a quelques mois, j’avais amorcé un virage plus historique dans mes lectures, et ce nouveau tropisme n’en finit pas de me renvoyer à l’actualité.
Pour essayer de comprendre comment on écrit une histoire des temps présents, je vais chercher du côté de Barthes, par exemple son article de Communications sur « L’écriture de l’événement« . Juste après mai 1968, Barthes écrivait que la radio, qui avait permis de suivre en direct des événements haletants, était devenue « l’appendice corporel, la prothèse auditive, le nouvel organe science-fictionnel » des manifestants. Aujourd’hui, la grève à Radio France ne fait plaisir à personne, mais les nouvelles technologies disposent l’information à une longueur de pouce de notre avidité de savoir – c’est la thèse de Michel Serres dans Petite Poucette. Je m’en rends bien compte à la bibliothèque: quand je commence à bailler, toutes les quarante minutes environ, je regarde si j’ai reçu une alerte Le Monde ou un message sur mon téléphone. Passer à côté d’un scoop par excès de concentration sur ma thèse, ça serait dommage.
Dans Présent, Nation, Mémoire, Nora rappelle que c’est entre la Commune et l’Affaire Dreyfus qu’on peut dater l’apparition de l’événement moderne: porté et amplifié par des médias de masse, l’événement moderne vient frapper de plein fouet des foules auxquelles il donne le sentiment de participer à un destin national. Après la presse écrite, c’est bien sûr la télévision qui a scellé les noces de l’événement et de l’image: les premiers pas de l’homme sur la lune, bien avant les vidéos de jihadistes détruisant les statues du musée de Mossoul, en apportaient une preuve moins tragique mais déjà évidente. Pour Nora, « Le propre de l’événement moderne est de se dérouler sur une scène immédiatement publique », à laquelle on veut tous participer, ne serait-ce que par twitter ou facebook.
Du coup, dans nos sociétés saturées d’informations, où l’on en viendrait presque à se demander si le crash d’un hélicoptère en Argentine est un événement de même nature qu’un attentat terroriste, le journaliste retrouve, pour Pierre Nora, « une des plus vieilles fonctions de l’historien des sociétés traditionnelles, le chroniqueur de la démocratie, l’annaliste des sociétés surinformées, le chronologue des temps accélérés. » Le journaliste se fait l’historien du présent, avant que l’historien de métier – le vrai – n’essaye de rendre intelligible la profusion d’informations qui se succèdent sur nos écrans, en donnant un sens aux événements qui feront vraiment date.
Barthes ou Nora plutôt qu’iTélé, quelques bouquins d’histoire au moins autant qu’un abonnement au Monde, je retrouve quand même du sens à mes journées. Huit heures de BNF et une heure de Libé, ça ne me donne pas le sens de ce qui se passe dans le monde, mais c’est moins déprimant que BFMTV. Quoique quand je sors de la bibliothèque, un quart d’heure de BFMTV suffit en général à me laver le cerveau, et à me convaincre que ma télé est aussi utile quand je ne la regarde pas.
Comme j’essaye de concilier ces nouvelles préoccupations avec ma thèse, j’ai aussi décidé de changer de salle à la BNF. Je ne vais plus dans la salle V, la salle des lettres que je commence à ne plus supporter, mais dans la salle d’histoire, la salle L. Il y a quelques mois, j’avais amorcé un virage plus historique dans mes lectures, et ce nouveau tropisme n’en finit pas de me renvoyer à l’actualité.
Pour essayer de comprendre comment on écrit une histoire des temps présents, je vais chercher du côté de Barthes, par exemple son article de Communications sur « L’écriture de l’événement« . Juste après mai 1968, Barthes écrivait que la radio, qui avait permis de suivre en direct des événements haletants, était devenue « l’appendice corporel, la prothèse auditive, le nouvel organe science-fictionnel » des manifestants. Aujourd’hui, la grève à Radio France ne fait plaisir à personne, mais les nouvelles technologies disposent l’information à une longueur de pouce de notre avidité de savoir – c’est la thèse de Michel Serres dans Petite Poucette. Je m’en rends bien compte à la bibliothèque: quand je commence à bailler, toutes les quarante minutes environ, je regarde si j’ai reçu une alerte Le Monde ou un message sur mon téléphone. Passer à côté d’un scoop par excès de concentration sur ma thèse, ça serait dommage.
Dans Présent, Nation, Mémoire, Nora rappelle que c’est entre la Commune et l’Affaire Dreyfus qu’on peut dater l’apparition de l’événement moderne: porté et amplifié par des médias de masse, l’événement moderne vient frapper de plein fouet des foules auxquelles il donne le sentiment de participer à un destin national. Après la presse écrite, c’est bien sûr la télévision qui a scellé les noces de l’événement et de l’image: les premiers pas de l’homme sur la lune, bien avant les vidéos de jihadistes détruisant les statues du musée de Mossoul, en apportaient une preuve moins tragique mais déjà évidente. Pour Nora, « Le propre de l’événement moderne est de se dérouler sur une scène immédiatement publique », à laquelle on veut tous participer, ne serait-ce que par twitter ou facebook.
Du coup, dans nos sociétés saturées d’informations, où l’on en viendrait presque à se demander si le crash d’un hélicoptère en Argentine est un événement de même nature qu’un attentat terroriste, le journaliste retrouve, pour Pierre Nora, « une des plus vieilles fonctions de l’historien des sociétés traditionnelles, le chroniqueur de la démocratie, l’annaliste des sociétés surinformées, le chronologue des temps accélérés. » Le journaliste se fait l’historien du présent, avant que l’historien de métier – le vrai – n’essaye de rendre intelligible la profusion d’informations qui se succèdent sur nos écrans, en donnant un sens aux événements qui feront vraiment date.
Barthes ou Nora plutôt qu’iTélé, quelques bouquins d’histoire au moins autant qu’un abonnement au Monde, je retrouve quand même du sens à mes journées. Huit heures de BNF et une heure de Libé, ça ne me donne pas le sens de ce qui se passe dans le monde, mais c’est moins déprimant que BFMTV. Quoique quand je sors de la bibliothèque, un quart d’heure de BFMTV suffit en général à me laver le cerveau, et à me convaincre que ma télé est aussi utile quand je ne la regarde pas.
A suivre.
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