« Au sommet, tout seul… Mon œil…?! » Les discussions étaient vivantes, le voyage pour bientôt, chacun avait ses plans, ses envies exotiques. Le départ pour le Mexique, mon premier voyage hors d’Europe, devait être une vraie aventure. Max parlait…
Mais Max parlait, un peu trop. Phil, plus réservé et passionné d’archéologie, potassait ses bouquins sur les Mayas. Je n’avais qu’une envie pour ma part: faire des images. De quoi? je ne savais pas encore.
Le super plan de Max était tombé à l’eau au dernier moment. Il fallait tout changer, tout réorganiser. J’avais dû contacter Bill Takas à New-York, un contrebassiste rencontré durant mes nuits passées à faire des photos dans les clubs de Jazz parisiens. Bill, lui, nous trouverait une solution. Changement de plan, je prends la main. Bill nous avait trouvé un petit appartement, à New-York, au sud de Central Park près de L’Hudson River, pour quelques nuits avant notre départ pour le Mexique. Ce sera mon premier contact avec cette ville que je vais retrouver dans presque trois semaines à l’occasion de mon prochain séjour outre-Atlantique. Les nuits du mois d’août à New-York peuvent être terriblement chaudes, elles le seront aussi pour Max qui tentera de se faire des sensations dans la 42 ème rue. Phil potassait ses livres, je testais mon matériel photo. Trois voyageurs, trois objectifs. C’était finalement ça le problème. Je suis un râleur, mais Max me dépassait largement. Nous avons finalement pris l’avion pour le sud.
Nous sommes en 1987, la ville de Mexico a subi un terrible tremblement de terre l’année précédente et en garde les séquelles. Nous n’y restons que quelques jours dans l’atmosphère ultra polluée de cette mégapole de plus de 20 millions d’habitants située à 2400 mètres d’altitude. En bus, traversant les montagnes, nous passerons par la ville de Puebla avant de nous rendre dans le premier port du Mexique: Veracruz et sa légendaire moiteur. À Villahermosa, nous louons une voiture, et à chaque fois que nous mettons la climatisation c’est une catastrophe, j’ai l’impression que nous viderons le réservoir d’essence avant d’arriver à destination. Nous optons pour le bus pour une grande partie du périple, pour finir en train de Oaxaca à Mexico City après être passés par Acapulco. Nous enchaînons les villes et les sites. Nous allons à Palenque, c’est l’un des premiers sites que nous visitons. Je suis déçu, le soleil est très haut et ne met pas du tout en valeur cette superbe architecture. Phil se régale, Max râle: « il fait trop chaud! » De mon côté j’espère d’autres lumières. Nous continuons notre progression dans le Yucatan. Campeche, Mérida, Cancun, Playa del Carmen, Tulum. À Chicèn Itza, sous un soleil de plomb défigurant les vieilles pierres assemblées dans une verticalité à rendre jaloux un fil à plomb, je craque. En haut d’une pyramide je tombe nez à nez avec deux touristes en pleine séance photos. Je ne suis pas seul sur cet étroit sommet. Je décide d’arrêter les visites archéologiques, je n’y trouve pas mon compte en termes de photographie.
Nous allons à San Christobal de Las Casas, et là, je décide de quitter la bande pour un temps. Nous sommes à peine à la moitié du voyage, je n’ai pas encore fait une image qui me plaise vraiment. Je manque de solitude. Certes, tout ce que nous voyons est magnifique, mais ce n’est pas forcément ce que je cherche. Je veux rencontrer, discuter, voir sans être guidé par un dépliant. Il y a d’autres façons de regarder. J’en ai marre d’entendre râler, et de faire la queue pour voir des vielles pierres. À chaque fois que nous arrivons sur un site, la lumière est trop haute, il n’y a presque pas d’ombre pour modeler le paysage. Les pyramides sont décorées de touristes déshydratés et les alentours sous le soleil ressemblent à une étincelante mer de bus.
J’ai quitté mes deux compagnons de voyage, pour un temps. Je les retrouverai plus tard à Mexico. Il ne me reste qu’un seul film noir et blanc et quelques bobines Ektachrome. Il faut que je sois économe, ne pas shooter n’importe quoi. Je traîne seul dans les rues de San Christobal De Las Casas, allant sur les marchés, dans les églises, les petits cafés, je me sens plus libre d’aller à la rencontre de l’autre. En montant dans une petite rue, un homme m’interpelle par dessus le muret de son petit jardin, me demande ce que je fais là si loin du centre-ville et m’invite à entrer. Il me propose un peu d’eau et un petit tabouret. Nous discutons. Ses deux filles viennent se joindre à nous. Il me demande d’où je viens. Je lui dit que j’arrive de France, persuadé qu’il ignore où se trouve ce pays un peu lointain. Il n’en est rien, il a entendu parler des Français au moment du tremblement de terre qui a ravagé Mexico City, l’année précédente. Les pompiers de Paris avaient fait un énorme travail pour aider les victimes de cette catastrophe. Il me parle de sa femme décédée récemment, des difficultés qu’il a à élever ses deux filles maintenant qu’il est seul. Au cours de notre échange il demande à l’une de ses filles d’aller me chercher quelque chose à manger, elle revient avec une pomme. Je reste près d’une heure dans la cour de cette maison où retentissent parfois les rires des deux enfants. Avant de partir j’ai demandé à l’homme si je pouvais faire une photo. Il appele les deux fillettes. J’ai fait mon cadre, au moment où j’allais faire l’image, un chien a aboyé, une des fillettes a tourné son regard en direction de l’animal, la plus âgée me regardait fixement, l’homme a doucement baissé la tête, j’ai appuyé sur le déclencheur. je n’ai fait qu’une image. En partant j’étais ému, j’avais les larmes aux yeux. J’avais fait plus qu’une image. J’avais partagé du temps, j’avais écouté, j’avais ri avec les enfants. J’ai sorti la bobine du boîtier, bien qu’elle n’ait pas été entièrement exposée. Je l’ai cachée au fond d’une poche prévue à cet effet, cousue à l’intérieur de mon pantalon, je pouvais me faire voler mon boîtier, mais pas cet instant.
J’ai descendu la rue, il me restait encore du chemin à faire.
« Un jour
Au sommet
Exister
Tout entier
Dans mon œil »
Charles Juliet
LLL. Semaine 43
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