Miroir, mon beau miroir. Fabienne Jacob: « Mon âge », un roman contre le temps…
Après avoir démontré qu’en dépit des années le « Corps » demeure inchangé, Fabienne Jacob prouve avec « Mon âge », son dernier roman, que l’on peut échapper à l’emprise du temps.
Au commencement il y a une femme seule face à son miroir qui se démaquille à deux heures du matin. L’heure est d’importance. Elle signale une baisse de vigilance, une lucidité accrue, une douceur plus grande face au reflet observé. Et tandis qu’elle se livre à ce rituel du soir, cette femme voit défiler certaines scènes de sa vie. L’essayage, enfant, d’une robe longtemps convoitée. L’amie à laquelle, adolescente, elle aurait aimé ressembler. La déambulation dans les hypermarchés. Les scènes sont nombreuses se réduisant parfois à des sensations autrefois éprouvées. « Un livre entier n’y suffirait pas, à dire toutes les pensées qui arrivent en vrac dans l’esprit d’une femme qui se démaquille« . C’est pourtant la prouesse accomplie par ce livre qui parvient à raconter les moments clés d’une vie par cette simple scène inaugurale de la femme au miroir.
La narratrice de « Mon âge » a quelque chose de l’héroïne de « Mrs Dalloway » qui voit défiler sa vie entière en l’espace d’une seule journée consacrée à l’organisation d’une réception. Et Fabienne Jacob, à l’instar de Virginia Woolf, excelle à déployer toute une existence faite d’une kyrielle de sensations ténues qu’elle restitue à la perfection. « Dans le temps d’une femme qui se démaquille une seule minute peut durer des heures, des jours entiers, une minute peut la précipiter dans un long vertige« . Une assertion que la romancière anglaise n’aurait pas reniée. Elle pour qui l’expression « flux de conscience » a été inventée et qui définit si bien le roman de Fabienne Jacob qui aurait pu également emprunter son titre au premier roman de Virginia Woolf : « La traversée des apparences« .
« Quand on vit dans certaines sociétés il est presque impossible de se regarder dans un miroir sans penser à son âge » peut on lire dès l’incipit du roman. Or c’est précisément là que l’auteur veut en venir. En faisant le choix d’un récit non chronologique dans lequel la narratrice est tour à tour enfant, puis adulte, puis adolescente, Fabienne Jacob convie son lecteur à une « traversée des apparences » salutaire. Loin du diktat de jeunisme, « Mon âge » donne la preuve éclatante que le temps, s’il existe, n’est jamais que la somme de nos expériences. L’âge dès lors n’a que peu d’importance. Seule compte la vie intérieure et les expériences hors temporalité. L’amour, le cinéma et les promenades en forêt. Une superbe invitation au détachement et à la volupté.
« Mon âge » – Fabienne Jacob -Gallimard, 176 pages.
La critique Littéraire desmotsdeminuit.fr
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