On ne naît pas thésard, et on s’étonne souvent de l’être devenu… Un choix de vie assumé, au prix de quelques angoisses.
Cette fois ça y est, les vacances ont enfin commencé.
Dans La Recherche, le héros rêve, des mois à l’avance, aux voyages en Italie ou en Normandie qui seront constamment reportés par ses problèmes de santé. À défaut de découvrir les lieux, il fantasme les noms des cités italiennes et normandes : Parme la stendhalienne, au nom compact et mauve, la printanière Florence, « miraculeusement embaumée et semblable à une corolle« , aussi lumineuse que « les fonds d’or pareils à ceux de l’Angelico« , Balbec la médiévale au mystérieux clocher persan.
Avant les vacances de Pâques, il rêve de prendre « le beau train généreux d’une heure vingt-deux » dont l’heure de départ « semblait inciser à un point précis de l’après-midi une savoureuse entaille, une marque mystérieuse à partir de laquelle les heures déviées conduisaient bien encore au soir, au matin du lendemain, mais qu’on verrait, au lieu de Paris, dans l’une de ces villes par où le train passe et entre lesquelles il nous permettait de choisir ; car il s’arrêtait à Bayeux, à Coutances, à Vitré, à Questambert, à Pontorson, à Balbec, à Lannion, à Lamballe, à Benodet, à Pont-Aven, à Quimperlé et s’avançait magnifiquement surchargé de noms qu’il m’offrait et entre lesquels je ne savais lequel j’aurais préféré, par impossibilité d’en sacrifier aucun.«
Jeudi matin à l’aube, je prends le TGV à Montparnasse, puis un petit TER qui dessert toutes les gares entre Dax et Hendaye. Dans ce train recouvert de tags multicolores – seul indice que le temps a passé depuis la Belle Époque – chaque arrêt pourrait être le point de départ d’une rêverie sur des noms aux sonorités éclatantes qui défilent avec autant de douceur que les paysages : le gai Saint Geours, Benesse Maremne et Saint Vincent de Tyrosse aux échos farouches, Labenne moins heureux, Boucau à la simplicité rustique et rassurante, l’Ondres fuyante… Et c’est encore plus beau avec l’accent.
Je suis trop endormie pour me demander quelle peut être l’origine de tous ces noms (j’imagine des Romains tout encuirassés rugir le nom de Benesse Maremne en piquant vers l’Espagne), mais je me dis que Proust n’était pas si fou de nourrir sa passion des étymologies en dévorant de vieux grimoires que lui prêtait complaisamment le curé d’Illiers-Combray.
Et puis les petits trains régionaux, quand ça n’est pas un TGV bondé d’estivants ultra-bruyants qui nous font déjà regretter d’être en vacances, c’est la meilleure manière d’entrer progressivement dans ce temps et cet espace parallèles, totalement figés quand ils se renouvellent à l’identique depuis l’enfance, des vacances en famille.
À suivre.
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