Sur le thème « Frontières et territoires », une semaine de conférences, de rencontres et de films à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Repenser les échanges et la circulation, à travers la géopolitique, les langues et les arts, c’est le programme de la 18ème édition de la semaine arabe qui ponctue chaque année la vie de cette grande école, depuis 1998. Jusqu’au 11 avril 2014.
L’ENS à l’heure arabe
L’édition 2013 de la semaine arabe, l’École Normale Supérieure en vibre encore. Les élèves qui organisaient l’événement avaient décliné le thème « Rire à l’heure arabe« , par une série de conférences, de tables-rondes et de projections cinématographiques, pendant presque quinze jours. Chercheurs et artistes des deux rives de la Méditerranée, notamment l’ancien professeur au Collège de France André Miquel, mais aussi les philosophes Marwan Rashed ou Pauline Koetshet, rappelèrent ainsi la place du rire dans la culture, la philosophie et la littérature arabe classique et moderne. Plusieurs rencontres furent également consacrées aux printemps arabes et à la manière dont le rire se révéla une arme de contestation décisive dans la remise en cause politique puis la chute des dictateurs tunisien, égyptien et libyen. Une table ronde avait par exemple réuni les célèbres caricaturistes tunisiens Z et Willis from Tunis, la journaliste et humoriste algérienne Souad Belhadad et le journaliste du Canard enchaîné David Fontaine. Mais le temps fort de cette édition 2013 reste sans conteste la venue de la star du petit écran égyptien, l’humoriste Bassem Youssef, dont l’émission participe pour beaucoup à la révolution des mentalités égyptiennes: face aux centaines de spectateurs venus l’écouter, un écran géant avait finalement été installé dans la cour de l’ENS, pour retransmettre en direct son intervention, encore disponible en ligne. Une traduction inédite de plusieurs de ses sketchs, sur le harcèlement sexuel en Egypte, y avait notamment été diffusée.
Née en 1998 à l’École Normale Supérieure, la semaine arabe est chaque année un temps fort de la rue d’Ulm. La responsable des études arabes, Houda Ayoub, a eu une influence décisive dans la formation de plusieurs générations de linguistes, de chercheurs et de journalistes qui tentent de lutter contre les préjugés encore trop nombreux dès qu’il s’agit du monde arabe. Au-delà de l’acquisition de compétences linguistiques, son mot d’ordre est d’ouvrir les élèves de l’ENS à des cultures dont ils ne peuvent comprendre la complexité que par des voyages d’étude et de terrain approfondis. La semaine arabe prouve que le rayonnement des grandes écoles ne peut aujourd’hui se passer d’événements transdisciplinaires et transfrontaliers, gratuits et ouverts à tous les publics. Par son affluence exceptionnelle, la semaine arabe de l’année 2013 en a été une belle consécration.
Repenser les frontières
Pour la 18ème édition de la semaine arabe, qui a lieu du 4 au 11 avril, les attentes sont donc au plus haut. Le thème « Territoires et frontières » reste brûlant d’actualité, que l’on pense aux tensions persistant autour du Sahara, au conflit israélo-palestinien ou aux réfugiés syriens déplacés dans les pays frontaliers. Les enjeux sont évidemment géopolitiques et économiques, comme le montrait, vendredi 4 avril, la conférence inaugurale d’Elyès Jouini, consacrée au territoire tunisien et à ses frontières. Le vice-président de l’université Paris Dauphine, ancien ministre tunisien des réformes économiques et sociales, a évoqué les profondes inégalités régionales qui caractérisent le territoire tunisien, en termes d’éducation et de chômage, avant de replacer la Tunisie dans un contexte régional et international. Il s’est ainsi prononcé pour la constitution d’une grande région Euro-Med « où l’on faciliterait la mobilité tout en responsabilisant les territoires« . Il prône notamment des programmes d’échanges éducatifs et universitaires ambitieux, mais aussi un système de « co-localisation« , par exemple pour des services financiers qui peuvent êtres effectués avec profit des deux côtés de la Méditerranée. Au lieu de délocaliser des activités demandant une faible qualification, il s’agirait de co-localiser dans des pôles multiples des activités de Recherche et de Développement qui exigent un bon niveau de qualifications. Elyès Jouini suggère ainsi qu’au sein de cette zone Euro-Med, la Tunisie serait le candidat idéal pour constituer un « hub » logistique, technologique et industriel.
Au-delà des problématiques économiques et géopolitiques, les rencontres programmées élargiront les perspectives en abordant la circulation des personnes, des idées et même des mots. Une conférence de Jocelyne Dakhlia et Annliese Nef, sur les musulmans en Europe occidentale, réfléchira aux multiples barrières, visibles et invisibles, que rencontrent les immigrés (lundi 7 avril à 19h). Une table-ronde intitulée « Dedans/Dehors : mécanismes d’incarcération en Lybie » s’annonce également passionnante : le politologue François Burgat, ancien directeur de l’Institut français du Proche-Orient et actuellement directeur du programme européen WAFAW, y animera une rencontre avec trois anciens prisonniers politiques libyens. Quant à Alain Rey, l’auteur bien connu de nombreux dictionnaires, il proposera une conférence sur le « Voyage des mots de l’Orient arabe, persan ou turc vers le français » (mercredi 9 avril à 17h). Politique et littérature alterneront ainsi pour varier les tons et les angles d’étude.
Enfin les arts occupent, encore une fois, une belle place dans cette semaine arabe. Une exposition de l’illustratrice Zeina Abirached intitulée « Paris n’est pas une île déserte » accueille les visiteurs à l’entrée de l’ENS, et une autre exposition de cartographie, sur le thème « Conflits, frontières et dynamiques dans le monde arabe » sera inaugurée lundi 7 avril à 18h. Un festival de cinéma très riche s’étend par ailleurs sur toute la semaine. Le film My land de Nabil Ayouch (2012), qui aborde avec beaucoup de sensibilité le conflit israélo-palestinien, a fait salle comble vendredi soir. Le réalisateur filme des Palestiniens de tous âges, immigrés au Liban, puis montre ces témoignages à des Israéliens qui vivent dans le village que ces Palestiniens furent contraints de quitter en 1948. Les réactions des Israéliens soulèvent très directement la question de frontières matérielles et psychologiques persistantes.
Deux concerts, de musique traditionnelle (mardi 8 avril à 19h30) et de rap syro-palestinien (jeudi 10 avril à 22h30), mais aussi un atelier cuisine animé par le traiteur libanais Les trois cèdres (jeudi 10 avril à 15h) et un atelier d’écriture (vendredi 11 avril à 16h) ponctueront également cette 18ème édition.
Tous les événements sont à l’École Normale Supérieure, libres d’accès ou sur réservation dans la limite des places disponibles
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