« Real » (K. Kurosawa), « I am Divine » ( J. Scharz), « Holy field, holy war » (Lech Kowalski)
Une pure fiction explorant avec délicatesse les méandres de l’inconscient. Provocateur, Kiyoshi Kurosawa la titre Real. Travesti iconique du cinéma américain, Divine était dans la réalité le contraire d’une grande folle. Et l’amertume de paysans polonais face aux multinationales à l’affût de gaz de schiste est bien réelle.
Real – Kiyoshi Kurosawa (Japon) 2h07
par Philippe Lefait
Le retour du REAL
Même si la psychanalyse a une existence marginale au Japon, Kiyoshi Kurosawa fait le pari dans Real d’un cours accéléré: se promener -une technologie de science fiction le permet ici- dans l’inconscient de l’autre aimée pour l’aider à identifier le trauma fondateur de sa névrose et de sa tentative de suicide. Dans cette belle proposition de communication des inconscients le réalisateur connecte Atsumi (la fine Haruka Ayase), dessinatrice de mangas* apparemment et suffisamment en panne d’inspiration au début du film pour se jeter à l’eau et Koichi (Takeru Sato et sa carrure d’adolescent) son amoureux platonique et transi par tant de désespoir, bien décidé via le contact neuronal à la sortir de son coma. La pulsion de mort -magie du cinéma qui filme et permet tout- a beau jeu de faire retour dans le réel et de mettre cul par dessus tête au beau milieu du film son point de départ. L’inconscient est facétieux.
Il y a longtemps que Kurosawa -il est né en 1955- fréquente les culpabilités diverses et variées dans une œuvre qui subjugue et qui mêle l’horreur, le drame, le porno léger ou le thriller. On se souvient du pacte de vengeance et de perversité auquel la mère d’une enfant violée condamne ses quatre petites amies dans Shokuzaï (2013).
Real est l’adaptation d’une nouvelle à succès A perfect day for Plesiosaur de Rokuro Inui. Le plésiosaure en question qui, rappelons le, est un reptile aquatique qui vivait au mésozoïque -de -250 à -66 millions d’années- revient hanter le film de Kurosawa. Il y a dans cette méchante bête une belle incarnation numérique de la dette d’enfance que les deux protagonistes ont oublié de payer dans l’île de leur naissance où la faute originelle est marquée d’un drapeau rouge ballotté par la mer, à quelques encablures de la plage.
Il pourrait y avoir une naïveté dans cet imaginaire et ces représentations du trauma que
donne à voir le cinéma de Kurosawa. Ce serait sans compter sur la maîtrise du réalisateur à nous rendre captifs de ce voyage vers les profondeurs. Il procède par touches, de l’irreprésentable nous ramène dans l’appartement tokyoïte du jeune couple, repart au cœur des ténèbres, éclaire d’argent ou de flou sa scène, déréalise son décor, en un plan abîme un mur, ou met l’eau en lieu et place du parquet. Et le spectateur finit par consentir à tant de hantise, de jeu sur la frontière et les limites, de vague à l’âme. De la science fiction, Kurosawa essentialise la poésie.
Sortie de séance. Extérieur jour. Un psychanalyste bougon maugrée qu’il n’a jamais connu une cure analytique qui ne dure que 127 minutes.
* * * *
I am Divine – Jeffrey SCHWARZ (USA) 1h30
par Rémy Roche
Elle a été la plus flamboyante drag-queen du cinéma américain indépendant des années 70-80. Elle c’est lui, c’est Harris Glenn Milstead, c’est Divine.
Minot et grassouillet il détestait son physique mais aimait les comédies musicales et se déguiser avec la garde-robe de sa mère. Genre, il se sentait féminin. Et voulait être acteur. A 17 ans, la rencontre de sa vie, il croise le réalisateur John Waters qui va en faire sa muse, transformant un marginal complexé en icône. Waters se soucie peu des bourrelets d’Harris, il en sublime sa féminité. A coup de maquillages sophistiqués et outranciers, tenues hyper-cintrées et moulantes, il en fait une femme qui réunirait tous les fantasmes. Mais si Divine est obèse, c’est qu’il bouffe beaucoup et trop. Pas que gâteaux et sucreries, la dope aussi. Il en meure à seulement 42 ans, il en fait 20 de plus.
Jeffrey Schwarz propose un portrait de Divine qui ne s’arrête pas à l’anecdote et au spectaculaire. Il montre le personnage, l’être-femme dans sa complexité, ses addictions en tous genres, sucre, drogue et reconnaissance. Qui autant qu’assumer la féminité de son orientation voulait d’abord être un comédien, et comédienne, elle fut très bonne. Au point de postuler en fin de carrière pour des rôles… masculins.
On peut s’énerver de la facture du film, typique doc américain, micro-saucissonnant séquences et interviews, il en reste un portrait qui force l’empathie pour un personnage simplement hors norme. D’une certaine façon, un résistant.
RR
* * * *
Holy field, holy war – Lech KOWALSKI (Pologne) 1h45
Pologne, une région non précisée, en tout cas rurale depuis toujours. Des paysans qui n’en pouvaient déjà plus des fermes industrielles qui avaient poussé se souciant peu des dommages collatéraux, les pesticides qui s’éventent, des tonnes de lisier toxique épandu n’importe où, les nappes phréatiques polluées, les abeilles qui meurent. Mais le pire était à venir, d’autres ennemis, bien plus violents, sont arrivés. Sans foi, ni loi. La foi, quelle foi?, la loi, ils s’en arrangent bien facilement avec la docile complicité des autorités. Ils s’appellent Exxon, Chevron, des compagnies américaines qui ont flairé un bon filon de gaz de schiste dans la zone. Sans prévenir, des colonnes d’engins monstrueux ont envahi un paysage jusqu’ici tranquille pour échographier le sol à coup de vibrations dantesques à en faire fissurer les habitations. Les prédateurs savent communiquer. Lors d’une réunion publique, sans vergogne, ils affirment que la préservation de l’environnement est leur priorité. La colère des participants couvre leur voix et leur powerpoint menteur. On sait bien que le pot de terre n’a aucune chance contre le pot de fer. Une multinationale s’embarrasserait d’une râlerie paysanne?
Lech Kowalski est né à Londres, d’ascendance polonaise, et vit aux Etats-Unis. Un métissage dynamique. Cinéaste et vidéaste, depuis 35 ans il a exploré des terrains aussi divers que le sexe (Walter and Cutie – 1978), la scène rock et punk (Hey is dee dee home (sur les Ramones) – 2003) ou les sans abris new-yorkais (Rock soup – 1984). Il donne à voir, à comprendre, tranquillement, sans fatwa. Sa méthode douce laisse néanmoins pantois. Qui ne se révoltera pas contre ces multinationales qui cassent une paysannerie polonaise. Quant on sait que ces forces avides et sans complexes de nos sous-sols sont partout à l’affut. Dans des pays vulnérables, mais aussi aux Etats-Unis, en France, le documentaire (un peu brouillon) No gazaran à venir la semaine prochaine fait frémir face à leur détermination strictement financière. Qui les arrêtera, qui peut les arrêter? Nous.
RR
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