Je redécouvre depuis quelques mois le principe du voisinage. C’est-à-dire le fait de vivre à proximité d’autres êtres humains. Pour le meilleur et pour le pire…
Un chien au skate parc…
J’ai commencé par découvrir le concept du « centre bourg » de ma petite commune. 2000 habitants répartis dans les hameaux alentour, mais 200 réunis dans les trois rues qui composent le centre, reliant la mairie, l’abbaye, la Poste et l’ancienne école.
Lessay fait partie de ces bourgs qui sont en cours de « dévitalisation » mais son cœur bat encore un peu. Nous pouvons nous vanter: de deux boulangeries, deux coiffeurs, deux bars dont un avec PMU (à noter qu’ils sont à vendre), une pharmacie, un lavomatic, et même un skate-parc où j’entraîne mon chien de berger.
Nous faire marcher …
Est-ce un joli village? Il ne séduit pas immédiatement par la noblesse de son architecture, et la notion d’art-de-vivre y est très pudique. Ancien bourg traditionnel aux maisons à toiture de chaume accolées les unes aux autres, il a été très endommagé lors du débarquement. Entièrement rebâti sur ses fondations, il arbore un style « Reconstruction d’Après-Guerre » avec la symétrie fine spécifique des années 50, sur les proportions d’un village à l’ancienne (rues étroites qui tournent, murets de pierre…). Passée l’insipidité de la première impression, dans l’ensemble, c’est agréablement équilibré.
Dans un bourg, il est surtout délectable de recommencer à marcher! Car en milieu rural, les distances sont tellement grandes qu’on parcourt en voiture un kilométrage de malade.
Ce petit plaisir d’envoyer l’enfant en pyjama acheter des croissants à 7h du matin est inégalable. Et rendu possible car nous habitons dans la rue centrale. Composée de maisons mitoyennes. Près d’un quart d’entre elles sont inhabitées.
Le bon créneau …
Se garer n’est autorisé que d’un côté de la rue, ce qui n’est pas une contrainte. Vu la faible densité des habitants, il y a toujours des places libres. Oserais-je avouer qu’on ne fait même pas de créneau pour se garer, car il y a assez d’espace pour rentrer directement dans la place?
Jusqu’à hier, où l’image idyllique s’est fendillée. Me garant, je quittais ma voiture quand le voisin devant la maison duquel j’étais stationnée, est arrivé. Constatant que j’étais garée devant chez lui, il a exigé que je remonte dans mon véhicule et le déplace. J’ai bien sûr commencé par badiner en mode relativisation, mais son ton est monté si vite dans l’agressivité que j’ai compris qu’il ne plaisantait pas avec ce qu’il considérait comme une invasion.
You talkin’ to me …
J’ai été tentée de surenchérir après cette déclaration de guerre (je suis un-e chasseur-se-cueilleur-se (NDLR pour l’écriture inclusive) et les luttes de territoire attisent également mon animosité): nous sommes sur l’espace public, vous n’avez pas acheté un tronçon de rue et cette place est aussi en face de chez moi! J’allais même partir sur des considérations très négatives, du genre: espèce de gros plouc, je ne comprends même pas ce que vous dites quand vous causez, ne me tutoyez pas, et faut être franchement bien entamé pour se battre pour une place quand il y en dix libres autour, etc…
Et puis cet extrait du Roi Lion s’est imprimé dans mon esprit. « Coaching » de Timon: Quand le monde te persécute, tu te dois de le persécuter! Réponse de Simba : Ce n’est pas ce qu’on m’a appris.
J’ai convoqué toute ma bonne éducation et l’amour de mon prochain, humblement déplacé ma voiture et envoyé des ondes pacifiques à ce brave personnage qui avait peut-être juste eu une dure journée. Après qu’il se soit victorieusement garé devant chez lui, j’ai tenté un désamorçage: « Cher voisin, nous allons nous croiser tous les jours. Restons agréables l’un pour l’autre, ce n’est qu’une place de parking. »
Honorable tentative dont la réponse, ponctuée de borborygmes, fut: « Chuis chez moi. Zêtes pas d’ici alors vous vous garez ailleurs. C’est tout! »
Lutte des classes ?
Je me suis drapée dans ma dignité en pensant que j’étais chanceuse d’avoir reçu une éducation raffinée et un vaste vocabulaire pour exprimer mes émotions. En vertu de quoi, c’était à moi de m’adapter à mon interlocuteur. Qui n’a sans doute pas eu le choix entre option théâtre ou arts-plastiques pour son bac au Lycée Molière, que ses parents n’ont pas emmené en thérapie familiale quand ils ont divorcé, ni en stage linguistique, etc… Le brassage social, limité ici, n’avait pas permis qu’il ait la chance de rencontrer des gens d’horizon très divers, alors j’incarnais probablement la différence ultime, invasive à ses yeux. D’où la nécessité d’agiter le drapeau blanc avec encore plus de prévenance.
C’est un arrangement mental un peu distant, je l’admets, mais on fait avec les outils qu’on peut pour digérer une vexation… et se préparer à croiser ce délicat monsieur les trente prochaines années. J’ai mis mes chaussons et suis allée acheter du pain en restant bien sur mon côté de trottoir, me réjouissant de ne pas vivre en appartement. Car avoir ce genre de type comme voisin de palier dans la densité d’une ville générerait sans doute des clashs plus oppressants! Ici, il est toujours possible d’aller s’aérer dans un champs ou faire des cabrioles dans le skate parc, de rassembler sa zennitude, et de saluer amicalement ses chers voisins en rentrant le soir.
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