Comme un Érythréen en Normandie. Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #162
Marco coule des jours tranquilles en Normandie, s’enchevêtrant les neurones dans les nuages…
Sans perspective …
Pour un nomade, je suis fort tranquille ces jours-ci. Je coule des jours paisibles dans une Normandie en fleurs, avec rien d’autre à explorer que le ciel changeant ou l’enchevêtrement des branches des pommiers que je n’ai pas encore taillés. J’attends. Voilà bien un moment inhabituel. En fait je n’attends rien, je suis sans perspectives, sinon celle d’un rendez-vous chez le médecin ou, plus tard, celle de longues semaines de rééducation. Quelques pistes pour un prochain contrat, assez frêles pour le moment, s’esquissent (ou s’esquivent), et il faudra un mois ou deux ou plus avant que les signes s’inscrivent vraiment dans le paysage.
Dans cette douce vacance, j’explore ce qui me tombe sous la main; les enchevêtrements de branches ou la bibliothèque hétéroclite de la maison. Je suis ainsi tombé sur les « Tristes Tropiques » de Claude Lévi-Strauss, et j’y ai lu cette phrase, qui a provoqué quelques rides à la surface de mon cortex.
« Moins qu’un parcours, l’exploration est une fouille: une scène fugitive, un coin de paysage, une réflexion saisie au vol permettent seuls de comprendre et d’interpréter des horizons autrement stériles » [dans le chapitre V, Regards en arrière].
Vérité au delà …
Cet horizon que je contemple, la campagne normande, n’est évidemment pas stérile en soi – cela fâcherait fort mon frangin maraîcher. Il est stérile pour le réfugié Érythréen (à moins qu’il ne soit Éthiopien ou Somalien, ce jeune assis en face moi dans le train), ou le Martien s’il en vient; pour eux de prime abord peu de signes dans cet environnement sont susceptibles de faire sens – peut-être pas même la forme des nuages, qui pourraient bien, au moins dans mon imagination, ne pas annoncer ici les mêmes pluies que là-bas. Qui sait?
Quand j’arrive dans un pays nouveau pour moi, je suis évidemment comme un Érythréen en Normandie, je ne comprends pas grand-chose de ce qui se trame et se défait autour de moi. Impossible de suivre une méthode a priori pour décortiquer mon environnement; je me contente de fouiller. Je guette les gestes que les uns ont avec les autres, les répétitions, les regards, les hésitations, je considère sans tirer de conclusion les petites danses sociales, sans savoir où je vais avec mes observations. Dans le grand tout qui tourbillonne autour de moi, j’essaie d’attraper des bribes de rien, avec le sentiment qu’à un moment ou un autre il se passera quelque chose, du sens se fera. Bien évidemment, c’est une illusion – ce sens que je me fais n’a sans doute pas grand sens, je me bricole des univers. Mais, avec ces bricolages dans la tête, j’avance.
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