Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #148: Des idées d’Algérie …
Paula et Marco sont repartis. Ils ont quitté Paris pour Alger, et sur la route Marco revisite ses idées d’Algérie.
Derrière nous une retraitée avait entamé avec un retraité une discussion sur la difficulté d’obtenir des visas pour;aller en Algérie, bien que, comme il était apparu dans leur conversation, ils avaient tous les deux de la famille là-bas. “L’Algérie est un beau pays”, dit-elle, et je soupçonnais qu’elle put avoir raison car Paula m’avait maintes fois dit son amour pour ce pays, et pour les Algériens (après tout, un pays vaut surtout par ses habitants).
Nous partions en Algérie: Paula y retournait, et j’y allais pour la première fois. Mais, bien évidemment, je n’étais pas vierge de préconceptions. Difficile, d’ailleurs, de l’être quand on a été élevé en France dans les années soixante et soixante dix. J’avais donc mon bagage d’idées d’Algérie.
Il y en avait une, prise chez Camus, évidemment, solaire en dépit de son existentialisme. « Alger la Blanche », c’est à lui que je la devais. Je pouvais imaginer la casbah, et surtout les plages, à travers ses livres. Finalement, une idée romanesque, sinon romantique.
Il y avait l’Algérie Ottomane (1515-1830) et un colonialisme turc comme une ombre sous le colonialisme français avec les palais des beys que j’imaginais magnifiques, sur le modèle de ceux que j’avais vus à Tunis il y a quelques années, quand démarrait cette chronique nomade. Une Algérie Ottomane qui a nourri les fantasmes orientalistes décortiqués par Edward Said dans « L »Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident », que je lisais à New-York dans le cadre d’un cours sur le post-colonialisme. Une idée d’Algérie imaginée et déconstruite.
Avant l’islamisation, avant même la conquête romaine dont il reste des ruines somptueuses à Tipaza et Timgad, il y avait les comptoirs phéniciens essaimés à partir de Carthage, et bien avant encore ces populations qui ont laissé – traces de leurs passages évanescents – des fresques dans les caves du désert. Mais ces images étaient surtout des souvenirs scolaires un peu flous, de vieilles idées d’Algérie, comme des frottis.
Et puis, il y eut le 17 octobre 1961, quand les Compagnies républicaines de sécurité du préfet Papon balancèrent dans la Seine des Algériens qui manifestaient leur sympathie pour le FLN (lire “Meurtres pour mémoire”, de Didier Daeninckx); les exactions et les tortures par les commandos des deux bords; le putsch d’Alger, le reflux des pieds-noirs, le sort misérable des Harkis, l’émigration vers les usines automobiles de la région parisienne, des thèmes qui ont tardivement irrigué la littérature française, particulièrement dans la veine des polars que j’aime lire*. Cette idée d’Algérie, elle s’est de nouveau imposée quand, débarquant à Alger, mon regard atteignit le Mémorial du martyr qui couronne la ville. C’était une autre idée d’Algérie, plus poignante et dérangeante.
Enfin, en bonne partie à cause de Paula, je me mis à lire les romans de Yasmina Khadra et débarquai dans l’Algérie moderne déchirée par l’islamisme radical, gangrénée par la corruption, étouffée par une élite sclérosée tirant encore ses rentes de son implication, réelle ou fantasmée, dans la lutte de libération.
Finalement, nous débarquâmes à Alger sous la pluie et des rafales de vent froides. « C’est la première fois depuis huit ans qu’il fait aussi vilain temps », nous dit notre chauffeur; « c’est le changement de climat », ajouta-t-il. Une nouvelle idée d’Algérie commençait à s’échafauder.
* “Le gone du Chaâba” de Azouz Begag; “Nestor Burma revient au bercail” de Léo Malet ; « Alger la noire” de Maurice Attia; “Djemila” de Jean-François Vilar; “Sérail Killer” de Lakdar Belaïd.
► @desmotsdeminuit
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