Cette saison, il se pavane dans les vitrines de Monoprix, il fanfaronne dans les pages de « Voici » et il encadre les minois des citadines. Mais l’année dernière il était totalement ringard, n’est-ce pas? D’où tire-t-il ce retour en grâce et cette résurrection de phénix bariolé?
Ce n’est qu’une présomption, car la logique de la mode est impénétrable – pour ne pas dire incompréhensible. La seule certitude, c’est que cet objet du désir 2018, une fois atteint l’apogée de sa gloire (c’est-à-dire le mois dernier) finira sa carrière dans les bacs de fringues Emmaüs, là où ses petits frères mijotent depuis 30 ans en implorant chaque cliente: « Prends moi! Je suis une valeur refuge et je représente l’insouciance de l’enfance!« . Mais les concepts trop avant-gardistes sont rarement compris de leurs contemporains: avant l’heure c’est pas l’heure. Et quand tu ne figures pas dans le cahier de tendance de l’année, tu restes dans ton bac Emmaüs.
Mais laissons de côté son imminente redisparition après sa renaissance éclair, et penchons-nous sur sa première naissance. Qui n’a rien de spontané, et dont le multiculturalisme est un livre ouvert de l’histoire du vêtement fonctionnel!
Brisons d’abord le mythe montagnard: le bonnet à pompon n’est pas descendu des hauts sommets sur la tête d’un barbu bourru. Son origine est la mer, dans le cadre de la valorisation de la laine comme supermatériau maritime, en raison de sa capacité à protéger de l’humidité, à sécher rapidement et à être élastique tout en emprisonnant de l’air pour isoler du froid comme du chaud. Les sous-vêtements étaient en laine, les voiles des bateaux viking aussi, tout comme les chemises de corps des pêcheurs. La laine est alors utilisée non lavée, afin que le fil conserve son suint (son gras), ce qui augmente son imperméabilité.
Note de l’auteur: j’espère que les embruns aéraient efficacement les dortoirs saturés d’effluves de mouton (d’ailleurs, appel à témoignage aux autres bergères: vous aussi vous devez vous désaper sur le pas de la porte au motif que « l’on vit dans une maison, pas dans une étable » puis filer vous dégraisser dans la salle de bain?)
Odorat sensible aux côtelettes ou non, vers 1840, les matelots de la Marine Nationale devaient confectionner eux-mêmes leurs bonnets, appelés bachis, de couleur bleu et rouge. Quand on arrivait à la fin du bonnet et qu’on refermait le fond, on se retrouvait avec l’extrémité de tous les fils. Le pompon, ou houppette, n’était qu’une façon de finir l’ouvrage.
Le modèle a ensuite évolué pour devenir le béret que nous connaissons, utilisé pour les sorties, mais toujours doté de son pompon dont la couleur et le format sont règlementés.
Pendant ce temps-là, d’autres cultures utilisant le fil de laine se demandaient également comment gérer les extrémités qui leur restaient sur les bras une fois l’ouvrage fini. Que faire de ces petits bouts qui s’effilochent? Les nouer entre eux pour éviter que tout l’ouvrage se détricote! C’est le cas des tissages qui se retrouvent bordés de frange, genre plaid ou poncho, et des bonnets péruviens. Quant aux ornements des chameaux bédouins, ils étaient surtout liés ensemble par des cordelettes décoratives.
Le pompon le plus assumé, limite assommant, se trouve en Allemagne. Le costume traditionnel de la Forêt-Noire comporte un chapeau nommé Bollenhut, surmonté d’une avalanche de pompons noirs pour les femmes mariées, et rouges pour les jeunes filles.
Si l’on comprend mieux que l’origine du pompon relève davantage du « truc et astuce » de couturière que d’une finalité de cadeau de fête des mères, cela ne nous renseigne pas sur les choix de couleurs chamarrées du bonnet (pour que l’on nous repère mieux si l’on tombe au fond d’une crevasse… je veux dire, au fond d’une ruelle parisienne?)
Les bonnets recherchés cet hiver sont en « jacquard« , mot français qui désigne un modèle de métier à tisser inventé par Joseph Jacquard, avec un système de cartes perforées permettant la répétition d’un motif géométrique à l’infini. Indépendamment de la marque textile « Le Jacquard Français« , le terme générique « jacquard » désigne tout motif géométrique répétitif.
Et cette esthétique ne vient pas de France. Mais de Scandinavie, après que le roi de Suède se la soit appropriée au XVIème siècle! Il avait tellement aimé une paire de chaussettes anglaise, tricotées en fil de soie et répétant des motifs géométriques colorés sur toute la périphérie de la cheville, qu’il en avait fait la marque de fabrique de son pays. Appliqués sur des pulls, ces motifs nordiques acquirent une grande notoriété, avec des variations en fonction des races de mouton et des plantes tinctoriales de chaque continent.
Puisque notre bonnet à pompons semble l’hybridation de motifs scandinaves piqués aux anglais, de houppette de matelot toulonnais et de couleurs fluo péruviennes, où et quand eu lieu la rencontre, l’osmose, la fusion cosmopolite?
Probablement dans les années 60, au moment de la démocratisation des congés d’hiver à la montagne. Puisque le ski devient le loisir tendance des consommateurs dotés d’un bon pouvoir d’achat, il faut inventer l’équipement technique et le look qui sied à cet univers.
Le bonnet était jusqu’à présent un vêtement infantile, les femmes trouvant plus seyant les toques, les turbans, les bérets, les foulards… mais quand on dévale une piste en plein vent, il faut des accessoires qui collent aux corps et qui tiennent! Et qui irradient aussi l’insouciance d’être en vacances et la liberté de mouvements.
Le bonnet à pompons apparaît novateur, rajeunissant, joyeux et saisonnier comme une chemise hawaïenne! En lui apparentant quelques nouvelles préoccupations, comme le Do It Yourself, le retour du tricot, l’esprit cocooning et la revendication « j’m’en fiche, j’aime plus la ville« , on obtient une avalanche de bonnets multicolores dans le métro, qu’il ne faut pas retirer de la journée pour cause de brushing aplati et luisant (oui, même quand on a bien dégraissé son mouton avant de dégainer ses aiguilles à tricoter).
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