Peu de documentaires méritent le grand écran. Pertinemment esthétique, en voilà un à ne pas manquer…
Kabwita est charbonnier, il fabrique le charbon de bois et c’est une tâche âpre que l’on n’imagine plus dans nos pays douillets. Le voici à l’œuvre, c’est un spectacle incroyable. D’une simple hache, il s’attaque à un arbre énorme. Il en entaille méthodiquement la base, priant Jésus de lui donner la force, on ne sait pas exactement combien de temps ça dure, sans doute plusieurs jours avant que le géant s’effondre. Branches et tronc sont débités puis entassés et recouverts de terre pour, dans un four gigantesque, brûler à petit feu. Le charbon de bois est entassé dans des sacs ensuite empilés sur un vélo dans une construction qui défie les lois de la physique. La route sera longue, souvent désespérante, avant de gagner la ville pour vendre : 50 km de chemins, de pistes et de routes et leurs camions filant à toute poussière. La voici enfin, de bruit et de fureurs. La vente pourra-t-elle permettre d’acheter quelques tôles pour la future case de Kabwita?
Sublimer le réel
Makala est une belle réussite, documentaire autant qu’esthétique. Dans un opus précédent, pareillement poétique, Bovines, donc un film sur les vaches normandes, Emmanuel Gras montrait comment son regard cinématographique pouvait changer le nôtre. Dans un tout autre contexte, presque inverse, il prouve à nouveau sa capacité à dépasser le réel pour en sublimer la substance.
Ce qui m’intéresse, c’est de faire surgir du concret une autre dimension. Le concret, c’est la rencontre de l’homme physique avec la réalité matérielle du monde. Je cherche l’expressivité, non le réalisme. Je n’aime pas l’esthétique réaliste, dans le sens de reproduire le plus fidèlement possible le réel. Souvent cela va avec une neutralisation de celui-ci : on essaie de ne pas en faire trop et du coup on se refuse à rendre compte de notre émotion. Ce que je veux réussir à faire, c’est rendre la réalité la plus expressive possible.
Emmanuel Gras
En effet. Là ou d’autres auraient eu la tentation d’un misérabilisme bien-pensant, Emmanuel Gras se consacre à montrer l’effort d’un homme dans ce qu’il a aussi, d’abord, d’essentiel, beau – peut-être – dans le dépassement de soi, et surtout d’universel. Car, si on est frappé par les « décors » d’une Afrique si pauvre (mais tellement astucieuse) et si loin de nos facilités, on reconnaît dans cette application laborieuse d’un charbonnier d’un autre temps le commun d’un prolétariat condamné à la servitude de la survie. Ailleurs, ici, ces forçats payent pour ceux qui ont déjà tout, notamment dans un nouveau monde réservé, qui les dispensent désormais de l’ISF. Troublant.
Makala est aussi un film politique, mais c’est d’abord une belle œuvre cinématographique.
Makala (documentaire) – Emmanuel GRAS (France) – 1h36
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