Les Carnets d’ailleurs de Marco et Paula #122: Les vacances du petit Tiekoura
L’école est finie et Paula se demande ce que font les presque 2 millions de gamins abidjanais de leurs vacances.
Alors si l’accès à la mer est limité, quelles sont donc les occupations des petits Abidjanais le temps des vacances?
Ils peuvent partir en famille pour jouer aux touristes à l’étranger. Une amie sur le départ pour la France avec ses filles nous a dit qu’obtenir un visa lui avait été facile. Elle le disait un rien désabusée. En 2011, elle et son mari, tout deux dans des emplois stables (Nations Unies et projet de santé américain), s’étaient vus refuser un visa pour venir à notre mariage en Champagne. Sans motif. Elle a remarqué ironiquement que maintenant le consulat devait aider Air France à remplir ses 3 à 4 vols hebdomadaires en A380.
Ils peuvent partir en colonie comme pour ce voyage extravagant dont j’ai trouvé le prospectus à la boulangerie (o.k, ce n’est pas la boulangerie de quartier). Le gamin – s’il a entre 5 et 12 ans – pourra voyager à Paris, Bruxelles et Barcelone pendant trois semaines, pour la modique somme de deux millions de CFA (+/- 3 000 euros). Je me demande ce qu’un bambin de 5 ans retiendra de ses vacances. Question pour les devoirs de vacances: Sachant que le salaire minimum garanti est de 60 000 CFA*, combien de mois ou années devront travailler vos père, mère, oncles, tantes et petites sœurs pour ces vacances?
Ils peuvent partir chez tonton au village… C’est l’histoire de cet ado lyonnais envoyé au Burkina Faso pour les vacances par son père débordé, dans l’espoir de l’assagir, du film Wallay de Berni Goldblat, que nous avons vu hier soir au cinéma.
Ils peuvent également rester en ville pour ceux qui n’auraient pas assez de parentèle dévouée et laborieuse – ou pas assez maligne? Des églises, des communes ou des privés proposent des centres aérés ou des cours de rattrapage scolaire. Il existe également des sites récréatifs familiaux plus ou moins abordables pour un budget de la classe moyenne: piscine, zoo, karting, accrobranches, parc d’attraction à propos desquels je ne saurais rien dire, n’ayant pas de gosses dans notre entourage. Par contre, j’ai découvert une bibliothèque pour tous dans le populeux quartier de Treichville. Elle accueille des enfants pour 200 FCFA la journée et outre l’accès à une belle collection de livres pour enfants et ados, leur propose des activités ludiques, créatives ou périscolaires. J’y ai vu des bambins revoyant français et calculs dans un environnement paisible, motivés par des animateurs enthousiastes.
Ils peuvent aussi jouer dans la rue. Les petites filles peuvent accompagner leur mère dans leurs tâches ménagères. A la radio, j’ai capté il y a quelques jours un conte édifiant dans une émission pour enfant dont voici la teneur. Préférant jouer, une petite fille renâcle à participer à l’entretien de la maison. Quelques années plus tard, reprend le conteur, jugée trop bordélique par son patron, elle perd son poste et elle perd également son mari lui reprochant de ne pas savoir cuisiner le poulet sauce graines. C’est édifiant et diffusé sur La radio de la Paix (ex radio des Nations Unies très à la pointe de la promotion des femmes, blablabla… ).
Ils peuvent enfin regarder un rien circonspect les vacanciers venus d’ailleurs notamment, ceux venus « au pays » le temps des vacances. Ils sont dans un autre monde, fréquentant des bars, boîtes et plages bien à eux, dans leur bulle. Je me souviens à Alger de cette rencontre furtive avec un jeune homme qui dévalait en skate les belles courbes du boulevard des Martyrs, une nuit de l’été 2002. Moi qui jonglais alors avec de strictes consignes de sécurité, j’avais envié l’insouciance de cet OVNI, oublieux ou dédaigneux de notre frilosité quotidienne.
Enfin, pour les gamins qui n’ont pas besoin de vacances car ils ne vont pas à l’école, il reste leur travail quotidien. Ils peuvent jouer au planteur, au vacher, au fermier, au porte-faix, et que sais-je encore.
* Jusqu’en 2013, le SMIG était fixé à 36.600 FCFA (environ 55 euros). La revalorisation précédente remontait à 19 ans en arrière – et pendant toute cette période le franc CFA avait été dévalué de moitié (ministère de l’Emploi).
► nous écrire: desmotsdeminuit@francetv.fr
Articles Liés
- Marco & Paula : Carnets d'ailleurs #16: Paula dans l'entre-deux...
La vie nomade, ce n'est pas seulement le lointain et l'exotique, les bagages et les…
- Les Carnets d'ailleurs de Marco et Paula# 98 : Ah si Paula pouvait...
Ah! Si je pouvais, j'aimerais parler d'autre chose. Par exemple, je pourrais m'épancher sur une…
- Les Carnets d'ailleurs de Marco et Paula #120: Paula versus machine: 0-1
C'est ce moment du mois quand il faut payer le loyer. En liquide, évidemment, puisque…
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202053050Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...