« Tripalium » est une série documentaire « Des mots de minuit » qui interroge la singularité du rapport au travail. Les intervenants, seuls, face caméra, sont libres de l’évoquer comme et dans l’ordre qu’ils souhaitent … Sophie Lecarpentier est metteuse en scène de théâtre. Elle dirige la compagnie « Eulalie ».
« Le jour de l’Italienne »
indiscrétions, pudeurs et vraies confidences sont les maîtres
mots de cette invitation dans les coulisses des répétitions.
Drôle et poétique, l’autodérision côtoie subtilement les affres
de la création.
Captation : Théâtre Sorano de Toulouse /Janvier 2013
Voici l’histoire de la naissance d’un spectacle. Et ce qui, d’habitude, se passe en coulisses, nous avons décidé de le montrer aussi. Le Jour de l’Italienne, avec ses fondus enchaînés comme au cinéma, raconte 2 mois de répétitions condensés en 1h10.
Une troupe répète l’Epreuve de Marivaux. Le premier jour des répétitions se passe autour d’une table : le metteur en scène fixe les grandes orientations de son projet, chacun se présente, on lit le texte, on commente, on observe discrètement ses partenaires, on butte un peu sur la langue du XVIIIème siècle. Puis l’on passe sur le plateau et les corps entrent en mouvement… Les protagonistes du spectacle progressent par à-coups, errements, trouvailles et malentendus. C’est parti pour quelques semaines, où, ensemble, il va falloir plonger dans les circonvolutions du discours amoureux de l’auteur, trouver son personnage, la justesse de ses rapports aux autres, assumer son costume et surmonter ses fragilités. Pendant ce temps, le décor arrive, les lumières s’inventent, le son se cale. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. Le temps se dilate, se condense, pour finalement converger vers ce qui unit la troupe : le spectacle à venir.
Le Jour de l’Italienne s’interrompt le soir de la générale, à l’instant où, traditionnellement, le public entre en scène.
Un spectacle confidence
Le Jour de l’italienne est un spectacle-confidence, né de l’envie d’une équipe de faire partager sa passion et de dévoiler, avec humour, dérision et sincérité, les rouages du processus de répétitions. Je n’arrivais pas à répondre à la question récurrente de mon entourage : « que faites-vous pendant deux mois pour répéter une pièce ? »
Comment expliquer le processus de création au théâtre, fait de mille petits riens qui ne se théorisent pas ?
Prenons un exemple et jouons avec. C’est notre pari collectif.
Nous ne nous bornerons pas à raconter ce qui se passe au plateau, mais aussi dans les loges, à la machine à café, en régie et à la table du metteur en scène.
Par le truchement du théâtre dans le théâtre, le spectateur devient complice de la chose en train de se faire. Il se familiarise avec le jargon d’un métier aux codes bien définis, dans un aller-retour entre les mots de Marivaux et les mots de nos professions – les maux-mots des comédiens, les mots des techniciens qui fabriquent en parallèle, les mots de tous nos métiers qui se croisent et s’entremêlent.
Il se prend à douter de ce qui est écrit ou improvisé. Ça pourrait ressembler à une répétition publique, mais là encore : illusion et apparence. Car tout est écrit. On pourrait titrer « Théâtre : Mode d’emploi »…
On a préféré un hommage au film de François Truffaut, La Nuit Américaine : Le Jour de l’Italienne.
À la fois enquête sur Marivaux et portrait vivant d’une profession, Le Jour de l’italienne révèle la complexité des enjeux de la fabrication d’un spectacle.
Dans le contexte actuel, raconter le mélange d’art et d’artisanat au sein d’une troupe de théâtre, c’est aussi, sous forme de pirouette, donner une réponse à la remise en cause du statut des artistes et à la fragilisation de la culture en général.
Pirouette, car ces vraies confidences sur la réalité quotidienne d’un travail astreignant et répétitif, et les péripéties de cette comédie en chantier, débouchent finalement sur la seule réalité visible depuis la salle : les apparences du plaisir.
Un voyage marivaldien
L’Epreuve est une des pièces de Marivaux que je préfère. Elle est acérée comme un couteau.
Cruelle et violente ; épurée et d’une économie absolue. L’intrigue simple permet l’ellipse sans renoncer à l’intensité des situations.
Chez Marivaux, les mots sont autant d’armes aiguisées pour influencer l’autre, le manipuler. Ils avèrent les sentiments, et les tiennent à distance ; révèlent les appartenances sociales et stigmatisent les êtres.
Les acteurs, doubles temporaires des personnages aiguisent comme eux leurs outils, trouvent leurs places les uns par rapport aux autres, s’influencent, se mettent à l’épreuve et se stimulent ou se blessent. Le marivaudage envahit les coulisses. Affleure ainsi par petites touches, le jeu subtil, savoureux, et parfois douloureux des correspondances qui s’établissent entre la vie et la scène. Une idylle se noue entre Frontin et Lisette, la comédienne costumière cache mal son amertume de n’avoir qu’une seule scène ; la jeune première se laisse envahir par la fragilité d’Angélique… Énervements et jalousies, fous rires et moments de grâce, le chaos fait partie intégrante de l’avancée.
Parallèle troublant du huis clos des répétitions qui rappelle celui du temps de l’action dramatique. Dans une Unité de lieu, de temps et d’action, une troupe répète. Le suspens croît au fur et à mesure que l’on s’approche du spectacle fini, qui, quel qu’il soit, aura transformé chacun des interprètes… Un peu comme chez Marivaux, nul ne sort indemne, mais chacun a grandi. »
Du 2 au 21 février 2016 à 18h30. Théâtre du Rond-Point. Paris. (relâche les lundis et dimanche 7 février 2016)
Le site de la compagnie Eulalie
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