Théâtre. « Trahisons », Michel Fau fidèle à l’esprit d’Harold Pinter 🎭
Aux côtés de Roschdy Zem et de Claude Perron, l’acteur et metteur en scène signe une version à la fois vive et tendue de la pièce où la tradition du vaudeville avec l’incontournable triangle, mari, épouse, amant, est passablement bousculée. Finement interprété et mené à un rythme soutenu, ce spectacle est une merveille de drôlerie caustique.
La scène se passe dans un pub anglais. Un homme rejoint une femme assise à un coin de table. Elle s’appelle Emma et lui Jerry. Il apporte des boissons. Tous deux trinquent sans piper mot. Ils s’observent, comme s’ils se jaugeaient l’un l’autre. On sent entre eux une gène diffuse que ne dissipent pas leurs premiers échanges. Derrière l’apparente banalité de leur conversation, quelque chose de l’ordre du tâtonnement se laisse deviner; comme s’ils ne savaient trop quoi dire ou comme s’ils avançaient en terrain miné.
Dans le passé, Emma et Jerry ont été amants. Pendant sept ans régulièrement ils se sont retrouvés en secret. Quand Emma lui demande s’il se souvient de la dernière fois où ils ont été seuls tous les deux, Jerry hésite. Il a oublié ou ne veut pas se souvenir. Jerry est le meilleur ami de Robert, l’époux d’Emma. Ce qui explique peut-être sa difficulté à évoquer leur liaison, comme mu par une culpabilité rétrospective; même si, par ailleurs, il ne regrette rien et ressent tout comme elle un brin de nostalgie.
Antéchronologie
Interprétée à la perfection par Roschdy Zem dans le rôle de Jerry face à Claude Perron dans celui d’Emma, cette scène d’ouverture de la pièce, Trahisons, d’Harold Pinter met à nu avec une fine pincée d’humour les ressorts d’une situation d’autant plus ironique qu’elle reproduit le triangle classique archi ressassé du vaudeville: le mari, la femme, l’amant. Pour autant cette pièce est loin de se cantonner au schéma ordinaire du bon vieux théâtre de boulevard, ne serait-ce que par sa chronologie.
En effet, si Trahisons débute en 1977, c’est pour se terminer en… 1969. Grâce à cette construction audacieuse dans laquelle Pinter invente ce qu’on pourrait appeler « le théâtre en marche arrière », l’intrigue se déploie sous forme de dépouillements successifs, un peu comme on pèlerait un oignon.
Impeccablement réglée, la mise en scène de Michel Fau, qui interprète par ailleurs le personnage de Robert, restitue avec une ironie implacable ce mouvement régressif où l’on a le sentiment de parcourir, en quelque sorte à l’envers, les effets d’une onde de choc. D’emblée, en débutant le spectacle par une scène dans laquelle on voit Jerry et Robert disputer une partie de squash, Michel Fau met non seulement l’accent sur la complicité entre les deux hommes, mais aussi sur le fait que leur amitié, noyau même de la pièce, est le cœur du problème. D’abord parce que tous deux aiment la même femme, Emma. Mais aussi parce qu’ils partagent un même sentiment d’échec ou du moins d’avoir trahi leur rêve de jeunesse de devenir écrivains. Au lieu de quoi l’un est devenu agent littéraire, tandis que l’autre est éditeur.
Emma quant à elle est galeriste, métier qui lui donne entière satisfaction, contrairement à Robert toujours prompt à pester – avec un zeste de mauvais foi – contre les livres en général et la littérature contemporaine en particulier.
Ambigüités
Drôle de type, ce Robert. Michel Fau l’interprète avec une retenue irrésistiblement comique. Ce détachement pince-sans-rire tranche avec la flamboyance baroque à laquelle cet acteur nous a souvent habitué. Preuve que ce fou d’opéra, amateur de strass et de paillettes, qui depuis quelques années revisite des pièces du passé tombées dans les oubliettes, telles Fric-frac d’Edouard Bourdet ou Douce amère de Jean Poiret, a plus d’une corde à son arc.
Ici on perçoit une jubilation rentrée dans sa façon de jouer ce mari manipulateur qui ne semble jamais dupe des relations entre son meilleur ami et son épouse. Il faut dire que les dialogues ciselés par Pinter favorisent ce genre d’interprétation ambiguë où l’on ne sait jamais exactement à quoi s’en tenir.
Quand dans la deuxième scène, qui se passe aussi en 1977, Jerry désespéré veut s’expliquer avec Robert au sujet de sa liaison passée avec Emma – cette dernière aurait tout avoué à Robert l’avant-veille – histoire de crever l’abcès, l’autre lui répond d’un ton indifférent: « Bon, ce n’est pas très important. C’est fini depuis longtemps, non? ».
Mais Jerry n’entend pas en rester là. Il insiste. Robert lui apprend alors qu’il sait depuis longtemps, Emma lui a tout raconté quatre ans plus tôt. D’ailleurs, lui-même était persuadé que Jerry savait qu’il savait. À ce moment-là, c’est Jerry qui se sent trahi, à la fois par Emma et par Robert. Et par un de ces retournements étonnants dont Pinter, en dialoguiste de génie, a le secret, Jerry s’agace: « Pourquoi tu ne m’as rien dit? ». Où l’on apprend au passage que pendant toute cette période les deux hommes avaient délaissé leurs parties de squash.
Qu’une pièce où tout est ainsi dévoilé dès le début puisse quand même se poursuivre pendant sept scènes rapidement enchaînées où, loin de s’élucider, l’intrigue se complique est évidemment un tour de force. Sans négliger les silences, essentiels dans ce théâtre où ce qui est tu est au moins aussi important que ce qui est dit, Michel Fau se montre particulièrement à l’aise dans ce curieux vaudeville pour lequel Pinter a amplement puisé dans son histoire personnelle. Sa mise en scène juste et vive atteint d’autant mieux son but qu’elle est menée à un rythme très enlevé. Une belle réussite.
Complicité
Interprétée à la perfection par Roschdy Zem dans le rôle de Jerry face à Claude Perron dans celui d’Emma, cette scène d’ouverture de la pièce, Trahisons, d’Harold Pinter met à nu avec une fine pincée d’humour les ressorts d’une situation d’autant plus ironique qu’elle reproduit le triangle classique archi ressassé du vaudeville: le mari, la femme, l’amant. Pour autant cette pièce est loin de se cantonner au schéma ordinaire du bon vieux théâtre de boulevard, ne serait-ce que par sa chronologie.
En effet, si Trahisons débute en 1977, c’est pour se terminer en… 1969. Grâce à cette construction audacieuse dans laquelle Pinter invente ce qu’on pourrait appeler « le théâtre en marche arrière », l’intrigue se déploie sous forme de dépouillements successifs, un peu comme on pèlerait un oignon.
Impeccablement réglée, la mise en scène de Michel Fau, qui interprète par ailleurs le personnage de Robert, restitue avec une ironie implacable ce mouvement régressif où l’on a le sentiment de parcourir, en quelque sorte à l’envers, les effets d’une onde de choc. D’emblée, en débutant le spectacle par une scène dans laquelle on voit Jerry et Robert disputer une partie de squash, Michel Fau met non seulement l’accent sur la complicité entre les deux hommes, mais aussi sur le fait que leur amitié, noyau même de la pièce, est le cœur du problème. D’abord parce que tous deux aiment la même femme, Emma. Mais aussi parce qu’ils partagent un même sentiment d’échec ou du moins d’avoir trahi leur rêve de jeunesse de devenir écrivains. Au lieu de quoi l’un est devenu agent littéraire, tandis que l’autre est éditeur.
Emma quant à elle est galeriste, métier qui lui donne entière satisfaction, contrairement à Robert toujours prompt à pester – avec un zeste de mauvais foi – contre les livres en général et la littérature contemporaine en particulier.
Drôle de type, ce Robert. Michel Fau l’interprète avec une retenue irrésistiblement comique. Ce détachement pince-sans-rire tranche avec la flamboyance baroque à laquelle cet acteur nous a souvent habitué. Preuve que ce fou d’opéra, amateur de strass et de paillettes, qui depuis quelques années revisite des pièces du passé tombées dans les oubliettes, telles Fric-frac d’Edouard Bourdet ou Douce amère de Jean Poiret, a plus d’une corde à son arc.
Ici on perçoit une jubilation rentrée dans sa façon de jouer ce mari manipulateur qui ne semble jamais dupe des relations entre son meilleur ami et son épouse. Il faut dire que les dialogues ciselés par Pinter favorisent ce genre d’interprétation ambiguë où l’on ne sait jamais exactement à quoi s’en tenir.
Retournements
Quand dans la deuxième scène, qui se passe aussi en 1977, Jerry désespéré veut s’expliquer avec Robert au sujet de sa liaison passée avec Emma – cette dernière aurait tout avoué à Robert l’avant-veille – histoire de crever l’abcès, l’autre lui répond d’un ton indifférent: « Bon, ce n’est pas très important. C’est fini depuis longtemps, non? ».
Mais Jerry n’entend pas en rester là. Il insiste. Robert lui apprend alors qu’il sait depuis longtemps, Emma lui a tout raconté quatre ans plus tôt. D’ailleurs, lui-même était persuadé que Jerry savait qu’il savait. À ce moment-là, c’est Jerry qui se sent trahi, à la fois par Emma et par Robert. Et par un de ces retournements étonnants dont Pinter, en dialoguiste de génie, a le secret, Jerry s’agace: « Pourquoi tu ne m’as rien dit? ». Où l’on apprend au passage que pendant toute cette période les deux hommes avaient délaissé leurs parties de squash.
Qu’une pièce où tout est ainsi dévoilé dès le début puisse quand même se poursuivre pendant sept scènes rapidement enchaînées où, loin de s’élucider, l’intrigue se complique est évidemment un tour de force. Sans négliger les silences, essentiels dans ce théâtre où ce qui est tu est au moins aussi important que ce qui est dit, Michel Fau se montre particulièrement à l’aise dans ce curieux vaudeville pour lequel Pinter a amplement puisé dans son histoire personnelle. Sa mise en scène juste et vive atteint d’autant mieux son but qu’elle est menée à un rythme très enlevé. Une belle réussite.
Trahisons, d’Harold Pinter, mise en scène Michel Fau
avec Michel Fau, Roschdy Zem, Claude Perron
> jusqu’au 30 mai au Théâtre de la Madeleine, Paris.
Et aussi :
Georges Dandin ou le Mari confondu, comédie en musique de Molière et de Lully, mise en scène Michel Fau: du 19 juin au 12 juillet aux Bouffes du Nord, Paris.
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