Théâtre. »Meaulnes (Et nous l’avons été si peu) »: sur les traces d’Alain-Fournier
Conscient de l’impossibilité d’adapter « Le Grand Meaulnes », au théâtre, le metteur en scène en restitue admirablement l’atmosphère poétique nimbée de rêve. Avec une pincée d’humour, il déconstruit le mythe pour mieux sonder dans un spectacle plein de charme les effets envoûtants sur le lecteur de cette aventure intérieure en quête d’un domaine perdu et de sa châtelaine.
Conscient de l’impossibilité d’adapter « Le Grand Meaulnes », au théâtre, le metteur en scène en restitue admirablement l’atmosphère poétique nimbée de rêve. Avec une pincée d’humour, il déconstruit le mythe pour mieux sonder dans un spectacle plein de charme les effets envoûtants sur le lecteur de cette aventure intérieure en quête d’un domaine perdu et de sa châtelaine.
Il y a des livres rares qui ont le pouvoir de nous faire pénétrer dans un rêve; non pas en nous plongeant d’emblée dans un onirisme débridé, mais en procédant, au contraire, par étapes. Presque imperceptiblement, en une série de petites touches qui s’additionnent, nous voilà transportés l’air de rien, là où nous n’aurions jamais imaginé avoir été.
La magie du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier est de cet ordre, où le rêve fascine d’autant plus que sa nature même est d’être enfoui dans un lointain inaccessible – comme s’il ne pouvait se conjuguer qu’au passé – presque impalpable et, au fur et à mesure que le roman se développe, de plus en plus effiloché.
Aussi insaisissable que nos propres songes quand on essaie de se les remémorer au réveil, ce souvenir d’une fête dans une propriété improbable au milieu d’une forêt où le héros s’est égaré en pleine nuit n’en a pas moins une persistance lancinante. D’abord parce qu’il est transformé en récit par celui qui l’a vécu. Ensuite parce qu’il est nimbé d’un érotisme d’autant plus insistant qu’il s’enracine dans des émotions liées à l’enfance et à l’adolescence.
Stratégie dramaturgique judicieuse
Prenant le parti pris d’une distanciation comique, il aborde le texte sous un angle didactique faussement sérieux – parfois même carrément parodique – des plus efficace. Ainsi avec l’aide des comédiens Max Bouvard, Camille Lopez et Paul-Emile Pêtre, il nous convie à une lecture du Grand Meaulnes dans laquelle lui-même joue le rôle du Monsieur Loyal extérieur au récit; à la fois professeur et commentateur et, à l’occasion, accélérateur, puisque le livre à la main il peut sauter tout à trac d’un passage à l’autre, quand il ne se livre pas à des explications textuelles plus savantes basées sur des graphiques projetés en fond de scène sur un écran.
Cette stratégie dramaturgique fort judicieuse renvoie au contexte même du roman dont le narrateur vit dans une école dirigée par son père par ailleurs enseignant tout comme sa mère. Le dispositif permet non seulement d’entrer dans le texte dont des scènes sont jouées bien sûr, mais aussi d’élargir le propos en s’interrogeant sur ce qui fait la magie de ce livre unique en son genre, considéré par ses plus fervents lecteurs quasi comme un talisman.
Onirisme
Ayant perdu son chemin en pleine nuit au milieu d’une forêt, Augustin Meaulnes se retrouve à participer dans le domaine des Sablonnières qu’il ne connaît pas à une fête costumée envahie d’enfants livrés à eux-mêmes et où l’on attend l’arrivée d’un couple de jeunes fiancés. Les masques, les déguisements d’une autre époque, la fantaisie débridée des participants sortis tous droit d’un livre d’image ou de quelque poème de Verlaine ou de Laforgue ou encore du Sylvia de Gérard de Nerval contribuent à l’ambiance onirique de cette fête étrange. Ils trouveront leur écho sous une forme plus inquiétante dans le cirque qui a dressé son chapiteau devant l’église du village dans la deuxième partie du roman avec la curieuse pantomime du « pauvre pierrot qui tombe ».
On a beaucoup écrit sur Le Grand Meaulnes, pas forcément pour en dire du bien d’ailleurs. À sa parution en 1913 le roman reçoit un accueil plutôt mitigé. François Mauriac parle à son propos d’ »Un laborieux enchantement « . Montherlant trouve le livre « insignifiant ». Jacques Copeau y décèle un manque d’authenticité. Et André Gide moyennement emballé par les quelques pages qu’il a parcourues finira par écrire en 1916 dans une lettre à Joseph Conrad qu’il s’agit d’un « roman charmant et bizarre ».
Michel Sardou
Non loin de Vierzon, ils s’arrêtent sur une aire d’autoroute, baptisée, cela ne s’invente pas, « Aire du Grand Meaulnes ». Ils en profitent pour tendre un micro aux automobilistes de passage histoire de leur poser des questions au sujet du livre. Est-il utile de préciser que tous les interviewés ne l’ont pas lu et que certains même n’en ont jamais entendu parler? Et pourtant Le Grand Meaulnes appartient bien au patrimoine littéraire national, jusqu’à inspirer de nombreux chanteurs français parmi lesquels Michel Sardou. Même lui.
Où il apparaît qu’un tel livre se partage et devient, plus qu’un sujet de conversation, un fervent sujet d’échange entre les acteurs où chacun évoque sa scène ou son passage favoris, quitte à le jouer derechef. Mieux encore c’est un cri de ralliement, une invitation à se perdre hors des sentiers battus pour disparaître sans crier gare dans une trouée de verdure et se retrouver bientôt endormi dans une demeure inconnue au pays des rêves, au Pays sans nom – qui était l’un des premiers titres envisagés par Alain-Fournier pour son roman.
Et c’est ainsi qu’après toute une série de tours et détours, de recherches plus ou moins fructueuses – en parties restituées sur un écran vidéo –, Nicolas Laurent et ses camarades nous entraînent à leur suite sur les traces du roman, mais aussi de son auteur porté disparu pendant la guerre de 1914-1918 ; le corps d’Henri Fournier (son vrai nom, Alain-Fournier était son nom d’écrivain) n’a été retrouvé qu’en 1991.
Leur périple charmant, à la lisière du réel et de l’imaginaire, hanté par la nostalgie des rêveries de l’enfance, n’est pour autant jamais dupe, gardant toujours en sous-main une discrète pointe d’ironie qui en fait toute la saveur. Avec sa construction habile et sa fantaisie délicate, ce spectacle trouve le juste équilibre pour évoquer le mythe qu’est devenu ce livre tout en le déjouant par la grâce d’une salubre distanciation.
Encore peu connu, Nicolas Laurent signe là une belle réussite. Et l’on ne peut s’empêcher après avoir vu ce Meaulnes de penser aux mots de Pierre Michon interrogé par Tiphaine Samoyault en ouverture de l’excellente édition du roman chez Flammarion. À la question « Si vous deviez présenter ce livre à un adolescent d’aujourd’hui, que lui diriez-vous? », l’écrivain répond: « Ce livre t’apprendra clairement ce que tu sais déjà: le bonheur est un jeu d’enfants. Le bonheur et la chance sont des jeux d’enfants. Le malheur aussi. »
Meaulnes (Et nous lavons été si peu), d’après Alain-Fournier, adaptation et mise en scène Nicolas Laurent
avec Max Bouvard, Nicolas Laurent, Camille Lopez, Paul-Emile Pêtre.
> 14 au 16 février au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
>16 mai à Montbéliard, Ma Scène Nationale – Pays de Montbéliard
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