« Todo el cielo sobre la tierra » (El sindrome de Wendy)
Autant radicale que rageuse, Angélica Liddel… Entre Brigitte Fontaine et James Ellroy…
« Tout le ciel au-dessus de la Terre » (Le syndrome de Wendy)
Une pièce donnée en espagnol, mandarin, norvégien (surtitré) en 2013 à Paris.
« Me masturbo, ya ! »
Pourquoi diantre attendre d’avoir passé l’entame confuse et somme toute accessoire -quarante cinq minutes quand même- pour être au cœur du sujet : « Se faire jouir pour faire passer la peur de la mort » et voir « des gens pour ne pas perdre contact avec ce que je hais ». Angelica Liddell dans cette pièce donnée l’été dernier en Avignon ne lâche rien de ce qui lui avait fait nommer sa troupe en 1993 Atra Bilis –la bile noire, en latin-.
Il y a bien du James Ellroy pour la part sombre de l’humain et de la Brigitte Fontaine, l’humour en moins, chez cette auteure interprète espagnole de 47 ans qui jongle avec mélancolie et bipolarité. Un prurit maniaco-dépressif si bien incarné qui ne laisse surgir que quelques rares fulgurances revendiquant l’amour. Ici une douceur dans la voix. Là, le texte qui avance la détestation autant que le besoin de narcissisme. La « hainamour », ce mélange tonique d’attirance et de répulsion cher à Lacan.
Et dans une proposition théâtrale multiforme et éclatée, dans ce registre, elle excelle! Elle donne à la scène son corps, son slip à paillettes, ses déhanchements, ses halètements,son texte et ses cris à bouffer le micro comme on donne son corps à la médecine, avec un reste d’humanité mais sans espoir de retour. Ça, elle sait faire et si bien qu’elle subjugue un public qui n’en peut mais de la voir seule, en transe ou en chanson, s’exaspérer. Oui, elle en veut à la terre entière.
Voilà l’exploit, transcender sa vie privée dans la vie du monde, nous faire vivre sa misère, la chercher dans la peur morbide de l’abandon (le syndrome de Wendy), le risque de l’effondrement, la misanthropie, l’impossibilité d’aimer l’électricien quand même et,last but not least, dans la détestation de la mère, chez qui on cherchera en vain le « supplément de dignité » que lui attribue généralement la bien-pensance. Celle-là même qui « nettoie les chiottes par amour ». Liddell sait décoiffer et faire de ses humeurs border line, autant d’uppercuts pour un spectateur qui se réfugie dans les cordes du noir de la salle.
C’est dans sa tête et sur cette part d’intime que nous livre Liddell que se referment les portes du pénitencier. La chanson, la musique et les jeux de sons sont très présents et relayent sa mise en scène. « House of the rising sun », le blues des Animals repris par Aufray et Halliday est le refrain de cette remarquable performance. Rage et désespoir! Ponctués par quelques doigts d’honneur très déterminés pour tous les autres, tous ceux qu’exclut tant de désespérance.
Quant à la première partie, elle donne dans un brouillon des causes qui font l’adulte perdu. Il y a Wendy, dans son long plaisir solitaire et son syndrome d’abandon, Peter et sa peur de ne jamais grandir, quelques crocodiles accrochés dans le décor qui rappellent le conte de J. M. Barry. Et l’enfant de se retrouver sur l’île d’Utoya, où 77 jeunes militants du Parti travailliste norvégien ont été assassinés en 2011 par A. Breivik. Ces enfants-là, comme ceux de l’île de Peter Pan, Neverland, ne pousseront pas. Au milieu de la scène, un tertre planté de petits sapins et de quelques fleurs rappelle le drame. Mais ce parallèle et cette incorporation à la dramaturgie du fait divers ne convainquent pas.
Dans cette manière de faire fragments, chaos et facéties Angélica Liddell envoie ensuite Wendy et Peter se réfugier à Shanghaï où l’on peut se sentir, comme « un détritus blanc », hermétique à la radicale étrangeté de l’autre. Où un orchestre (huit musiciens) et un vieux couple de valseurs chinois -dont la femme coiffeuse dit être ici sur scène sans l’avoir dit à son mari, trop communiste, trop obtus et resté au pays- vont les distraire.
De quoi se demander -en laissant aller c’est une valse- « Où est Wendy ? », réellement ? Question initiale aussi récurrente qu’inutile qui nous éloigne de la transe ultérieure sidérante et enragée de l’artiste.
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